Dr Pierre Sabourin  
  Article  
     
     
     
     
     
  2011  
     
       
Accueil
 

DU CONTEXTE PATHOGÈNE À L’ENFANT PERVERTI POLYMORPHE (2009)

Colloque La pédophilie au féminin : de la complicité inconsciente au passage à l’acte sexuel, Lille,19 Juin 2009.

 

Je reprends le survol du colloque du 13 Juin 2008. Il y a un an je ponctuai mon propos d’une belle phrase de René CHAR «  Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque, A te regarder ils s’habitueront », formule poétique de l’audace qu’il aura fallu mettre en oeuvre;

Aujourd’hui en écho à l’exploit de YAN ARTHUS BERTRAND je reprendrai une de ses propositions de son film HOME, diffusé sur la planète et pour la planète:       « Ce que nous savons il faut le croire ».

Et comme il s’agit aussi pour nous de l’environnement… familial, je la reprends à mon compte.

En effet, en ce qui concerne notre propos d’aujourd’hui, cette pathologie maternelle n’est pas toujours flagrante. Il s’agit le plus souvent d’une position perverse narcissique qui transcende toutes les formes de symptomatologie bien connues : hystérie, paranoïa, psychopathies ou dépressions… Le pire de la perversité n’est pas toujours sûr…

C’est à dire que ce narcissisme particulièrement toxique n’est pas un syndrome caractérisé, mais une pathologie cachée qui empoisonne de son venin les liens mère-enfant dans quantité de situations familiales.

Et chacun sait qu’ils sont hautement précieux ces liens mère-enfant quand ils sont « suffisamment bons » en ce qui concerne l’adaptation de l’enfant à ses besoins, (pas à ses désirs), ces besoins de l’enfant sont changeants au cours de son développement, et il est impératif que sa mère s’y adapte, comme le développe Donald W. Winnicott, le théoricien du DOUDOU, l’objet transitionnel.

Nombreux sont ceux qui savent et pourtant ne croient pas en leur perception, diagnostique et pronostique !...

Winnicott, avec son style allusif et en formulant ce qui a été entendu à l’époque comme une « une hypothèse fulgurante » ! ( je cite la rédaction de la NRP,en 1975, dans  son numéro « Figures du vide ») a pu induire en erreur des naïfs qui ne croient pas possible que derrière ce « no good enough », puissent se camoufler les pires attitudes perverses ! Mais Winnicott a renouvelé la clinique psychanalytique, avec son humour et sa langue subtile, même quand il soulève que le « breakdown », l’effondrement, à déjà eu lieu mais n’a pas été ressenti…, éprouvé par l’enfant ! Il l’écrit dans cet article majeur « La crainte de l’effondrement » (2). Il parle du trauma, mais aussi de « comment se souvenir quand rien ne s’est passé », quand  c’est le vide, « ce qui aurait pu se passer », quand par exemple l’enfant n’a pas été protégé.

Dans ces cas qui nous occupent, quand la maltraitance sexuelle n’est pas évitée, par manque d’une vigilance maternelle, le désaveu de la parole de l’enfant par sa mère qui va suivre «  tais toi, tu es une menteuse », va lui aussi faire partie du traumatisme. Alors spontanément devant  ce vide induit par cette attitude, ce RIEN, ce manque intériorisé, le patient va essayer de l’éprouver en contrôlant ce vide « en ne mangeant pas ou en n’apprenant pas, ou encore il se remplira sans merci, par une gloutonnerie compulsive et ressentie comme folle ».(1)

Voilà de la clinique utile, quand il utilise cette notion inconsciente d’auto- contrôle. Lacan disait à sa façon, « le fantasme protège le réel ». C’est la même idée.

De même, le rejet suivi d’abandon, attitude redoutable et inconsciente d’une mère en souffrance, va entraîner non seulement un lien « pas suffisamment bon », (et dit comme ça c’est un authentique euphémisme), mais une pathologie réactionnelle, faille et rupture dans le développement précoce de l’enfant.

Diagnostic de la qualité du lien.

C’est un problème pour les organismes sociaux de prise en charge de l’ASE qui avant de soutenir le maintien du lien concret entre mère et enfant devraient d’abord faire le diagnostic de la qualité de ce lien. Est-il bon, médiocre, instable, et susceptible de s’améliorer ou au contraire est-il franchement détestable délirant et toxique c’est à dire insoluble dans l’immédiat? Avant de prôner un maintien du lien il faudrait arriver à croire ce que l’on sait sur cette famille : l’enfant est victime d’une pathologie certaine, maltraitances incestueuses, manipulations en tous genre, harcèlement ou encore incestualité par un amour passionnel d’un parent, la mère souvent, quand elle prend possession de son enfant. Tout ceci concerne les pédo psychiatres, les psychanalystes, les services sociaux, mais surtout les juges pour enfants, et tous les psychothérapeutes, car il s’agit d’une pathologie narcissique de l’adulte.

Donc, cette perversion narcissique, comment la comprendre. C’est chez RACAMIER que l’on trouve le meilleur descriptif : «Que ce soit par l’emprise et l’effraction, par la prédation, l’intimidation et la diffamation, le pervers narcissique vise toujours à disqualifier le MOI de l’autre, dans l’espoir de soulager et valoriser le sien… » (2).

Dans cette description on saisit bien les transactions pathologiques, la faillite de l’environnement, l’effort pour rendre l’autre fou, et ce que Freud désignait dès 1905 « Les influences extérieures du détournement »(3) (Je traduis par détournement l’habituelle traduction en Français qui utilise le vocable ambigu de séduction.) Pour rester un instant sur cette phrase de Freud si mal comprise, je viens de constater ces jours-ci, avec grand plaisir, que le contresens dont je parle souvent a été corrigé par une traduction nouvelle : Trois Essais sur la théorie sexuelle :

« Nous avons établi en outre, en nous appuyant sur l’expérience, que les influences externes de la séduction pouvaient provoquer des interruptions prématurées de la période de latence voire même sa suppression, et qu’à cette occasion la pulsion sexuelle de l’enfant se révélait en fait pervers polymorphe. » (4).

Je salue ici cette traduction nouvelle en français et enfin précise faite par Philippe KOEPPEL, aux éditions Folio, publiée en novembre 2008, soit 103 ans après la première édition, à Vienne !

L’étiologie est affirmée, c’est à « à cette occasion » et « en fait » que ce qui arrive à cet enfant va le faire basculer de pervers POTENTIEL (comme nous le sommes tous), dans des positions de PERVERTI polymorphe, c'est-à-dire tous azimuts, à la fois : agresseur SEXUEL, menteur, voleur, instable, opposant, dissimulateur, mais aussi régressif, auto agressif, caractériel, parfois psychopathe en chute scolaire, et gravement dépressif, tous symptômes d’effondrement. Ces symptômes ne sont pas apparus par génération spontanée mais l’on doit les rattacher à « l’organisation DEFENSIVE de l’enfant liée à une agonie primitive », une agonie, c’est pire que l’angoisse, qu’elle soit qualifiée d’originaire ou d’absolue (pour reprendre les mots utilisés par Winnicott).

C’est dire si l’étude de l’environnement contextuel est urgente. L’approche de la vérité historique est le plus souvent camouflée donc difficile, car ces faits traumatisants sont impensables il donc va falloir les déduire (mot de Freud dans sa correspondance à Ferenczi).

Quel est donc ce contexte de vie de cet enfant ?

C’est par le travail en séance avec le génogramme de cet ensemble familial que démarrent nos thérapies familiales de réseau, comme aussi bien la vidéo obligatoire lors des audiences à la brigade des mineurs, qui permettent de saisir cet univers des transactions pathogènes. Les mutismes sévères, les silences provocateurs, les gestuelles érotiques, les rapprochements intempestifs de l’enfant vers tel ou tel adulte, ses inhibitions flagrantes ou discrètes, ses mimiques érotiques, seront très utiles à décrypter. Par l’observation de ce langage analogique on saisit au mieux cet imbroglio dans lequel cet enfant est plongé depuis sa naissance, avec des doubles liens qui ont pris au piège sa spontanéité, sa créativité sa capacité de jouer… De même l’histoire du couple de ses parents biologiques sera souvent révélatrice de leur fonction parentale incohérente ou destructrice… où les deux. Ces transactions illustrent le système familial en question, elles sont incestueuses souvent, maltraitantes toujours. Il faut donc savoir suffisamment bien ce que nous savons voir, pour croire en notre action, en vue de devenir défenseur de l’enfant ( c’est une formule du code de déontologie médicale, (article 43)).

Avant de défendre l’espace de parole d’un enfant en psychothérapie, prétexte à la non- intervention, il faut savoir défendre l’enfant victime de son milieu familial et d’abord l’en protéger, d’où l’urgence du signalement.

C’est en effet l’adulte pervers narcissique qui casse les liens et attaque l’intelligence et le MOI de l’enfant. Quand cette attitude est le fait d’une figure féminine, (mère biologique, adoptive, mère d’accueil, belle mère, grand mère ou sœur aînée), avec des conduites incestueuses plus ou moins fusionnelles, la connivence est dépassée pour entraîner les passages à l’acte hétéro ou homosexuel de cet adulte ou de cet enfant plus âgé, ou de cet ado. On sait que les conséquences caractérielles sont au premier plan puis, si rien ne protège l’enfant, les dissociations de son identité et alors la décompensation psychotique est en marche .Encore une citation de Winnicott à ce propos : La prévention de la psychose devrait être du domaine des pédiatres. Si au moins ils le savaient ! »

Il écrit cela en 1970 à propos du travail social et de sa fonction de prévention :

«Il est important de repérer l’environnement pas suffisamment bon aussi rapidement que possible,(c’est moi qui souligne), afin que l’enfant ne perde pas son temps à faire une psychothérapie alors qu’il aurait besoin d’un autre type de prise en charge spécialisée. » (5).

C’est quelques années plus tard nous avons pris la décision de fonder à Paris le Centre des Buttes Chaumont, sans connaissance de cette conférence de Winnicott, mais devant le constat identique du temps perdu en psychothérapies individuelles inefficaces, et d’un trou dans la clinique psychosociale qui, certes ne méconnaissait pas les maltraitances, non pas vraiment, mais ne croyait pas possible de se saisir à bras le corps de ce problème jusqu’ici négligé.

Ainsi nous avons rédigé notre premier ouvrage « La violence impensable, en 1991 », puis  douze ans plus tard, en 2004 , « Quand la famille marche sur la tête »(6) où sont retracés des moments thérapeutiques, les influences majeures de la pensée systémique et le cadre de notre thérapie familiale de réseau, soit cette prise en charge spécialisée face à ces pathologies là. Dans cet ouvrage :

Nous avons mis en place une schématisation composite où les concepts systémiques et les concepts psychanalytiques sont utilisés en complément les uns des autres. Ceci permet de saisir les quatre plans cruciaux du système familial maltraitant, sous formes de quatre cercles tangentiels ou non: La LOI qui est évidemment celle de l’interdit de l’inceste ; Les FAITS qui sont à déterminer comme transgressifs, déduction à faire par exemple devant des masturbations quand elles sont compulsives; les TRANSACTIONS comme les menaces de mort, et enfin la VIE PSYCHIQUE de l’enfant, avec ses phobies, ses rêves à répétition ses identifications où à l’agresseur. Ces deux schémas intitulés  « SYSTEMANALYTIQUES » permettent d’opposer deux organisations familiales inverses, l’une quand l’interdit de l’inceste est respecté, l’autre quand il est bafoué.

Quand sur ce schéma il y a chevauchement des cercles il n’y a plus d’espace de JEU pour le JE de l’enfant, il y a par contre quantités de signes d’autosacrifice et les identifications inconscientes se développent.

C’est pour chaque famille une évaluation indispensable de l’éthique contextuelle. Est –elle respectée, est-elle bafouée ?

Première question face à ces systèmes familiaux en faillite. Référence ici aux travaux du prof. Nagy, systémicien Américain d’origine hongroise, promoteur, entre autre, du concept des « loyautés invisibles ».

Donc n’oublions pas :

Cette éthique contextuelle bafouée qui induit la perversion de l’enfant.

La haine légitime chez cet enfant victime car il a été perverti et peut reproduire ce qu’il a subi à l’identique ou sur un mode différent mais comparable.

Le Droit de l’enfant et l’Intérêt supérieur de l’enfant qui imposent au plus tôt qu’il ait un avocat.

Récemment la place symbolique du mot INCESTE dans le Code pénal, vient enfin à sa place. (Consensus législatif depuis le 28Avril 2009).

Comment lutter contre l’originaire de cette haine précoce subie par l’enfant, sinon en commençant par la reconnaître ?

Regardez dans le texte «  La haine dans le contre-transfert » (1947 ), Winnicott y trace un « parallèle entre la haine éprouvée par la mère contre son nouveau né, et la haine éprouvée par l’analyste contre son patient psychotique régressé et en état de besoin ».

Et aussi ces deux phrases :

« L’amour et la haine qui coïncident chez le psychotique supposent que l’environnement a été défaillant à l’époque des premières pulsions conduisant à la recherche de l’objet ».

« La mère hait le bébé avant que le bébé haïsse la mère et que le bébé ne puisse savoir que sa mère le hait. »

Pourquoi ? Les raisons sont nombreuses, j'en ai relevé quelques unes :

Le bébé n’est pas celui de ses fantasmes infantiles : l’enfant du père , du frère etc.. ;

Le bébé n’a pas été créé magiquement,

Le bébé interfère avec sa vie privée et constitue un défi à ses préoccupations.

Il se méfie, refuse la bonne nourriture qu’elle lui donne et la fait douter d’elle-même : cependant il mange bien avec sa tante…

Il l’excite mais la frustre : elle ne doit pas le manger ni avoir de commerce sexuel avec lui.

Pour terminer je citerai cette phrase clef de Ferenczi, dans son Journal clinique écrite le 10 Avril 1932  : (7)

« La question se pose de savoir s’il ne faut pas rechercher chaque fois le trauma originaire dans le relation originaire à la mère, et si les traumas de l’époque un peu plus tardive, déjà compliqués par l’apparition du père, auraient pu avoir un tel effet sans la présence d’une cicatrice traumatique maternelle-infantile archi-originaire. »

Avec cette dernière formule choc, pour aujourd’hui, et toutes ces données cliniques ces interventions, et ces textes,

« il est vraiment  trop tard pour être pessimiste ».

NOTES

(1) Winnicott. D. W. « La crainte de l’effondrement », in Revue Française de Psychanalyse, Figures du vide, Paris, Gallimard, 2000.
(2) Racamier P.C. in «  Autour de l’inceste », Gruppo, 1991. Lire aussi « L’inceste et l’incestuel », Editions du collège, Paris, 1995, par exemple, p.175 : «  Au tabou de l’inceste, l’incestualité substitue le tabou de la vérité sur l’inceste ». Lire aussi les notions de « séduction narcissique réciproque » et de «  deuil originaire », in L’œuvre de P.C.Racamier, Delachaux et Niestlé, Lausanne, Paris, 1997.
(3) Freud S. «Trois essais sur la théorie de la sexualité », traduction classique. Reverchon Jouve, Gallimard, p.150
(4) Freud S. « Trois essais sur la théorie sexuelle », Folio Essais , Paris, 2008, nouvelle traduction de Philippe Koeppel, p.184, à comparer avec la précédente.
(5) Winnicott D W, in « L’enfant, la Psychée et le corps » Paris, Payot, 1999, « La pédopsychiatrie, le travail social et les autres formes de prises en charge », 1970. p.352.
(6) Nisse M. et Sabourin P, « Quand la famille marche sur la tête », Paris, Le Seuil, 2004.p.170 et 171.
(7) Ferenczi S. « Journal Clinique », Paris, Payot, 1985, Trad. Equipe du Coq Héron, p.137

 

 
CV
   
Bibliographie    
Nouveau    
Contact    
     
     
     

Droit et soins
contre les
violences

   
     

Centre des
Buttes-
Chaumont

   

 

   

Quatrième
Groupe