Dr Pierre Sabourin | |||
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De l’autosacrifice à la défragmentation. Création d’un cadre de thérapie pour Sabine et quelques autres enfants abusés sexuellement |
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Le Coq-héron, 2004/3 (no 178) |
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Quand l’inceste est passé à l’acte entre un adulte de la parenté et un enfant prépubère, le traumatisme sexuel est à son comble, confusion entre du sexuel-passionnel passé à l’acte par l’adulte et la demande élémentaire de tendresse issue de l’enfant, confusion des deux langages de l’amour, des deux expressions contraires en ce qui concerne la relation au monde d’un enfant, être humain immature et donc particulièrement fragile. C’est la confusion du symbolique de la parentalité, domaine primordial de la filiation et donc de l’humanisation, avec tout l’univers insolite et inconnu pour l’enfant des jeux pervers des adultes. |
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Quatrième |
Plusieurs moments de la thérapie de la petite Sabine vont illustrer les principes de notre action thérapeutique en face d’une fillette traumatisée gravement. Il s’agit d’une modification des cadres thérapeutiques traditionnels pour créer les conditions adaptées à ce type de pathologie constituée surtout par les liens toxiques dans les familles maltraitantes. L’étayage théorique sera celui d’une lecture actuelle des grands textes que la psychanalyse tient à sa disposition sans toujours savoir les utiliser, textes classiques de Freud et de Ferenczi, leur correspondance, et les travaux modernes analytiques et systémiques dans ces domaines. | ||
Chacun connaît le travail de Ferenczi de 1932 où il a théorisé les cas rapportés dans son Journal clinique, dépassant la notion d’« hypnose parentale » par celle de « confusion des langues entre les adultes et l’enfant », invoquant les notions de terrorisme de la souffrance et de l’intériorisation de la culpabilité par l’enfant comme une introjection aux conséquences multiples, quand cet enfant a vécu la violence des actes incestueux et dans la mesure où aucune culpabilité n’est assumée par cet adulte-là. En effet, dans ces familles hautement pathologiques comme celle de la petite Sabine, c’est l’interdit de l’acte incestueux qui a été transgressé par son grand-père paternel et par son père. Il ne s’agit pas d’un interdit qui porterait sur la pensée incestueuse ou sur le désir de l’un ou de l’autre, ni même sur la parole seule (fût-ce de type provocation-allusion-invitation), encore moins sur le rêve incestueux ou sur une thématique incestueuse dans le cadre d’un syndrome délirant (hallucination interprétation, illusion). Non, il s’agit d’un choc psychosexuel, un « effroi sexuel » (Sexualschreck, formule freudienne), une commotion psychique (Erschütterung, formule ferenczienne), dont les effets autant physiques que moraux sont immédiats et bouleversent le monde pulsionnel de cet enfant-là ; son avenir est de ce fait en grand danger. Comme dans le cas de « l’enfant mal accueilli » dès sa naissance (ce qui est un euphémisme de la part de Ferenczi quand on connaît les tentatives d’infanticide, les abandons dans une poubelle, les multiples formes de tortures, ou le syndrome de l’enfant secoué, non soigné, non reconnu, etc.), s’il ne meurt pas tout de suite, les pulsions de mort vont se déchaîner. |
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Une enfant comme Sabine violée vers 4 ans, quand nous la recevons en grande détresse (comme la plupart des autres mineurs suivis par nous depuis des années au centre des Buttes-Chaumont), va chercher à faire cesser cette situation subie mais sans pouvoir le dire clairement, dans la mesure où chez l’abuseur on ne retrouve, dans la grande majorité des cas, aucun sentiment de culpabilité, et parce que tous les mécanismes possibles sont mis en œuvre par ce dernier pour camoufler, minimiser et nier l’acte dont il est pourtant responsable. Non seulement il n’assume pas son acte, mais, sans hésiter, et avec une hypocrisie consommée, il accusera un enfant de 3 ou 4 ans de l’avoir provoqué sexuellement ! Comme les menaces font aussi partie de l’arsenal hypnotisant de l’adulte, c’est le silence sur les faits qui, au comble du défi paradoxal, protège au mieux cet enfant maltraité sexuellement, si rien n’est mis en place pour l’aider, car la tragédie que vit cet enfant va se métamorphoser très vite en dissociation de son identité. |
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L’aide qui s’impose, comme on va le voir, ne peut pas se résumer à une thérapie, il faut un arsenal médico-socio-judiciaire et une psychothérapie de réseau d’abord qui intègre son environnement. On constate en effet, comme l’a écrit Ferenczi en son temps, que ce qui va rendre ce trauma de l’enfant particulièrement pathogène, c’est le désaveu de sa parole sur cette réalité elle-même par l’entourage en qui il a le plus confiance, et à qui un jour il va essayer de confier son secret, à sa mère, une tante, un cousin, une voisine. Mais si l’univers du déni domine les échanges dans cette constellation pathogène, la situation psychique de cet enfant est comparable à celle d’un otage. Il manifestera dès ce moment-là un syndrome comparable au syndrome d’adaptation connu pour l’adulte sous le nom de syndrome de Stockholm. |
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Cette perception par Ferenczi au cœur de la psychanalyse des années 1930, véritable compréhension de la place du contexte dans la pathologie mentale de l’enfant, permet de faire coïncider aujourd’hui les élaborations théorico-cliniques dont il a été le promoteur et les travaux modernes issus des théories systémiques à propos de la causalité circulaire. C’est pourquoi j’avais proposé au congrès de Madrid un texte qui se centrait sur « Les douze concepts ferencziens incontournables dans le traitement psychanalytique des abus sexuels précoces », car l’inceste, quand il est passé à l’acte sur un mineur, est le prototype de tous les abus sexuels pédophiles. Et c’est à partir de cette notion d’homéostasie du système familial que se comprennent au mieux ces transgressions majeures. | |||
J’insistais particulièrement sur l’hypnose parentale devenue confusion des langues, sur la fragmentation post-traumatique et sur l’identification inconsciente à l’agresseur constituant une nouvelle perception du trauma : la commotion psychique, incluant le contexte pathogène. La série des concepts de stratégie thérapeutique était centrée sur l’élasticité technique, les techniques actives comme les injonctions paradoxales, les fantasmes provoqués, la néocatharsis. | |||
En effet, le traitement aujourd’hui de ces situations pathologiques si graves (Sabine, par exemple, avec ses jeux sexués si inquiétants) se trouve réanimé par la compréhension des familles dont le système de fonctionnement lui-même est incestueux, quand les transactions de ce type sont opératoires depuis plusieurs générations, c’est-à-dire quand le rapport à la loi de prohibition de l’inceste se montre particulièrement défaillant dans ces familles qui se révèlent psychopathes, délinquantes, perverses, bien plus que névrosées. | |||
Pour suivre ce raisonnement, il faut d’abord regarder comment un enfant survit quand il a été maltraité, abusé, hypnotisé, conditionné par un de ses parents proches du côté paternel ou maternel, parfois des deux côtés, quand il devient une victime-émissaire de son système familial. | |||
Dans une psychanalyse de l’adulte, par exemple, on sait bien que ce qui reste du traumatisme infantile vingt ou trente ans plus tard est radicalement différent. « Les traumas nous devons les déduire », écrivait Freud à Ferenczi (lettre 1186) en parlant des adultes. Il y a eu chez eux cette « cicatrisation réactionnelle » (formule de Freud), cette adaptation « autoplastique » comme Ferenczi la désignait. Aujourd’hui le mot « résilience », importé des sciences physiques, a permis parfois de transfigurer en « merveilleux malheur » ce dont l’enfant-victime a réchappé, quand les moments de détresse (Hilflosigkeit) ont été surmontés. Nous sommes bien placés en tant que psychanalyste d’adultes pour mesurer de quel prix psychique va se payer cette mauvaise gestion du trauma au moment opportun, c’est-à-dire le plus tôt possible, pendant l’enfance. | |||
C’est pourquoi nous insistons aujourd’hui sur la prise en compte à chaud de ces situations d’abus sexuel sur mineur qui vont mettre à l’épreuve nos façons de penser le trauma mais surtout nos façons d’en prendre en charge la thérapie quand les traumatismes sont tout proches dans le temps. Grâce à cette prise en charge que nous désignons par psychothérapie de réseau, dont le cadre est plus souple qu’une thérapie d’enfant banale et comporte beaucoup plus d’intervenants, on va suivre pas à pas comment l’enfant abusé va s’adapter par un transfert incestueux aux effets pychoaffectifs de sa situation traumatique. On sait, par expérience clinique, qu’il a vécu régulièrement de la violence sadique assez inimaginable, des menaces de mort explicites et des manipulations majeures à base de chantage : « Si tu parles, je te tue. Si tu parles, on ne te croira pas ! Si tu parles, je ferai pareil à ta petite sœur ! » Les catastrophes qui s’ensuivent sont à la mesure de cette cruauté et de cette emprise. | |||
Ferenczi avait eu le courage d’écrire à l’époque (lettre à Freud 1165, du 25 décembre 1929) que certains de ses collègues avaient une vision des névroses qui relevait d’une « sous-estimation de la réalité traumatique dans la psychogenèse ». Aujourd’hui c’est encore pire, on assiste même chez des professionnels de la relation à l’enfant à une surévaluation qui confine à une hypertrophie du fantasme et donc à une radicale dénaturation de la réalité vécue par l’enfant. | |||
Pourtant, chez Freud, tout est en place jusques et y compris dans son texte ultime l’Abrégé de psychanalyse, son véritable testament daté de 1939, où il reprend sans hésiter les notions précises du traumatisme, clairement désignées par « menaces de viol », comme autrefois quand il opposait hystérie et obsession quant à leur causes respectives et qu’il décrivait le « choc sexuel et le plaisir sexuel prépubertaires » dans la traduction classique de la formule « Presexualensexual-Schreck, Presexualensexual-Lust » (lettre à Wilhelm Fliess du 15 octobre 1895). |
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Ces prises de position de Freud et de Ferenczi sont cruciales à considérer aujourd’hui pour saisir l’ampleur du problème. En effet, certains enfants sont protégés par un amour parental suffisant et grâce auquel ils développent leur complexe d’Œdipe tant bien que mal. À l’inverse, d’autres enfants, ayant vécu cet effroi sexuel (Sexual-Schreck), ce choc imprévisible, cette « commotion psychique », en plus des carences affectives, nous sollicitent explicitement aujourd’hui, d’autant plus qu’ils n’ont pas toujours été entendus par les professionnels de la santé mentale, ni par les pédiatres, ni par les psychanalystes, ni par les juges. | |||
Ce sont ces enfants-là qui vivent des moments de détresse intenses et répétés quand sont mêlées avant la puberté violence sexuelle abusive et excitation sexuelle imposée par tel adulte (jusqu’au plaisir sexuel parfois). Ces enfants-là sont dans l’impossibilité de s’extraire de cette situation pathogène, ils ne peuvent qu’obéir et vivre leurs premiers clivages dont les manifestations vont très vite exploser. Notons bien qu’il ne s’agit jamais ni chez Freud ni chez Ferenczi de tous les enfants. Contrairement à ce que laisse croire une instrumentalisation fréquente du discours de Freud qui globaliserait un Enfant Universel lui-même tout à fait mytho-fantasmatique, il s’agit de ces enfants précis comme Sabine, ou Lola, ou Sophie qui ont subi des carences massives et précoces, des débordements pulsionnels et des mauvais traitements. À l’instar de ce qu’écrit Masud-Kahn, on peut parler ici de macrotraumas cumulatifs. | |||
Quand Freud prend soin d’évoquer ces enfants-là, dans l’Abrégé, il ne dit pas qu’il s’en occupe, mais il ne les oublie pas dans sa réflexion abstraite et il constate le pronostic désastreux dont ces enfants sont porteurs : arrêt de leur croissance, névroses graves, troubles caractériels, psychopathies, perversions et psychoses… en quelque sorte toute la gamme de la pathologie mentale que l’on va retrouver chez des enfants, des adolescents et des adultes ! | |||
Voilà en 1939 la prise de position de Freud, non équivoque, dans le débat sur la causalité des pathologies mentales (si l’on fait exception pour les névroses bénignes) ; il s’agit pour lui d’observations faites par l’enfant et d’impressions subies, d’« un événement capital survenu dans l’enfance ». Dans ces cas-là, il ne s’agit pas de fantasmes chez l’enfant : « Votre attention doit être attirée d’abord par les répercussions de certaines influences qui, si elles ne s’exercent pas sur tous les enfants, sont malgré tout assez fréquentes ; tentatives de viol perpétrées par des adultes, séduction par des enfants un peu plus âgés (frères ou sœurs) et, chose à laquelle on ne s’attendrait pas, impression produite par l’observation auditive ou visuelle de rapports sexuels entre adultes (entre les parents) […] Il est facile d’observer combien la réceptivité sexuelle de l’enfant est éveillée par de pareils faits et combien alors ses propres pulsions sexuelles peuvent être canalisées dans des voies dont elles ne pourront sortir » (Abrégé,puf, 4e édit. 1964, trad. Anne Berman, Paris, p. 58). | |||
En contradiction complète avec cette dernière phrase, pourtant particulièrement limpide, et qui reprend dix ans après les « Réflexions sur le traumatisme » de Ferenczi, certains psychanalystes en France se sont entraînés à éliminer la notion de choc (lire par exemple « Fantasme originaire, fantasme des origines, origine du fantasme », Les Temps Modernes, en 1974, n° 215, p. 840), ce qui revient à dénaturer non seulement la psychopathologie de ces enfants-là, particulièrement traumatisés par ce que Freud qualifie de faits et d’influences subis en état de sidération plus ou moins chronique, et les pathologies déviantes de ces adolescents maltraités devenus adultes mais aussi le texte de Freud par une censure manifeste. |
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Pour s’occuper aujourd’hui de ces enfants maltraités et humiliés, il convient d’abord de diagnostiquer la pathologie post-traumatique au moment même où la situation se présente, à chaud, quand la révélation faite par l’enfant très jeune confine au scandale, quand la pathologie explosive de l’enfant menace son entourage et lui-même en raison des pratiques perverses qu’il va passer à l’acte à son tour, quand tout son équilibre préexistant vole en éclats (désigné par Ferenczi par Zersplitterung, la fragmentation psychique, dont Freud fait un commentaire en 1930, dans sa lettre 1186 déjà citée). Voici une de ces situations cliniques. | |||
Sabine est une fillette de 6 ans qui nous est adressée depuis qu’elle est placée en famille d’accueil. Les raisons de ce placement sont le fait d’une décision judiciaire concernant le grand-père paternel. Celui-ci vient d’être incarcéré pendant six mois pour maltraitances physiques mais, en fait, comme tout le dossier en témoigne, il s’agit de plaintes en rapport avec des fellations subies par Sabine et son jeune frère, pratiquées par ce grand-père, dans cette ambiance de violences physiques. La qualification judiciaire de ces actes de sexualité incestueuse oro-génitales n’a pas été reconnue par le tribunal (ce qui est malheureusement fréquent), pour éviter la qualification de crime que cela impliquerait. L’affaire est donc passée en correctionnelle, la sanction est seulement relative aux coups et à la maltraitance, aux insultes, voire à la négligence, etc. (C’est à l’évidence une forme de désaveu de la parole de l’enfant par la justice qui ne qualifie que la partie la plus banale de la maltraitance en ignorant les pratiques sexuelles perverses subies par l’enfant.) | |||
Les symptômes qui motivent la consultation auprès de nous sont des phobies de l’eau, des violences dangereuses envers les camarades d’école, des moments dépressifs inquiétants et une excitation sexualisée compulsive. |
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Dans chaque séance de ce type de thérapie, tous les mois, un nouvel ensemble protecteur des deux enfants est constitué à côté des deux thérapeutes (un homme et une femme). Cet ensemble comprend la famille d’accueil (la mère et le père) et les intervenants sociaux de référence. Ainsi, nous mettons en place une psychothérapie de réseau à laquelle la participation de tous révèle son utilité. Les enfants se sentent en confiance et les langues des travailleurs sociaux se délient : par exemple, nous apprenons un jour que le père des enfants est privé de ses droits d’hébergement par la justice, alors qu’il n’a jamais été inculpé, quoiqu’il ait été désigné lui aussi par Sabine comme auteur des mêmes sévices sexuels sur elle et son frère. | |||
Après plusieurs séances de mise à l’épreuve de notre réseau protecteur, un jour en thérapie Sabine dessine une gamme complète de carottes de taille croissante : | |||
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Nous pouvons immédiatement y déceler plusieurs aspects du signifiant phallique : |
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Ce qu’elle a vécu comme non-sens doit être compensé sur un mode mégalomaniaque par ce fantasme qui est la trace du complexe de castration, « ce qui reste après la menace de castration », suivant une définition du fantasme par Freud. Dans cette famille, les menaces de mort étaient le lot quotidien, par les coups, la menace d’être noyée dans la baignoire, l’humiliation et les exploitations sexuelles pédophiles, formes agies de l’acte transgressif criminel. (En effet, si l’acte oro-génital est considéré comme ayant entraîné une pénétration de l’enfant au niveau de sa bouche, il est juridiquement un crime.) Dans cette famille maltraitante c’est ainsi que se manifeste l’inceste agi. |
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Sabine, en effet, ne va pas se cantonner à un mimétisme, à une imitation simple de la perversion sexuelle de ses ascendants, mais va innover dans toute la gamme possible, polymorphe, des mensonges, vols, dissimulations, pleurs et dépression pendant des heures, masturbations incessantes, encoprésie, énurésie diurne, changements brutaux d’attitudes comme des demandes de câlins impératifs suivis de coups imprévisibles au visage de sa mère d’accueil désappointée, etc. | |||
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Dans des histoires comparables, on peut voir des enfants sages comme des images, « enfants trop bien élevés », dormir chaque nuit pendant des années en position fœtale d’autodéfense, les bras et les couvertures sur la tête en prévision des coups intempestifs qu’ils redoutent encore et toujours alors qu’ils sont hébergés dans une famille d’accueil de toute sécurité. | ||
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Quoique le grand-père abuseur de Sabine soit incarcéré, cette petite fille, qui au demeurant n’est en rien psychotique, n’est pas du tout protégée par la justice de la violence manipulatrice de son père, et nous constatons combien elle ne peut pas aller mieux tant qu’elle est soumise aux rencontres avec celui-ci. |
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Par exemple, chaque fois que ce père vient voir sa fille dans un centre de médiation, la perversion de la fonction paternelle est réactivée (il a dû être à bonne école, ce père-là, fils du « gros pépère-beurk »), et les travailleurs sociaux nous rapportent deux de ses attitudes récentes tout à fait démonstratives. |
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Une fois, il joue aux cartes avec Sabine. Il commence à jouer normalement puis affirme tout fort que maintenant il va tricher. C’est entre adultes une bonne plaisanterie ou un code entre habitués de bistrot, mais dans cette situation, pour Sabine c’est d’abord un rappel de la toute-puissance arbitraire de son père qui n’agit qu’en fonction de son désir à lui, en édictant des règles quand cela lui chante. Résultat immédiat constaté par les personnes présentes, Sabine s’arrête de jouer. | ||
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D’ailleurs, quand il vient voir sa fille, il apporte toujours des sucettes, nous dit une des éducatrices, où l’on peut déceler pour Sabine un nouveau rappel de la scène primitive orale incestueuse (un souvenir traumatique, pas un fantasme), et il en offre une à l’éducatrice ; celle-ci, remarquant le manège suspect du père, refuse cette proposition sucrée. Le père lui dit alors : « Vous avez peur ? Je ne suis pas pervers tout de même. » Là, par cette apostrophe, ce père se signale comme personnalité intrusive et provocante, mettant en scène le déni qui culpabilise immédiatement l’interlocutrice, l’accusant d’être terrorisée donc d’avoir des pensées malsaines, pour mieux se targuer d’innocence, jouant devant Sabine de son pouvoir d’intimidation sur l’éducatrice | ||
Deuxième fantasme postincestueux que Sabine dessine spontanément en séance, en dessous de la série des carottes : le bébé beurk. | |||
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Devant le réseau de protection que nous constituons, elle développe son univers fantasmatique, et progressivement elle peut se laisser aller, sans crainte de rétorsion, comme si c’était son anniversaire à lui, son bébé à elle, qu’elle dessine avec soin. L’âge qu’elle attribue à ce bébé de l’inceste correspond à la durée des deux ans écoulés depuis les dates approximatives qui ont été retenues pour repérer les actes transgressifs. Ainsi, par cette précision que Sabine met en scène devant nous, se trouve indiquée la dimension du risque imaginaire d’avoir été fécondée, où, moins que de son désir d’enfant à elle qui avait 4 ans à l’époque, il s’agit bien d’une saturation de ses désirs œdipiens par l’inceste agi et transfigurés par les perversions du grand-père abuseur. Ainsi, la qualification de ce bébé réactionnel se trouve fort bien connotée d’être un bébé-beurk par cette langue de l’enfance, pour évoquer ce qui est le plus dégoûtant issu du grand-père et pour dire au mieux l’impossible à penser et l’interdit du passage à l’acte. | ||
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Troisième fantasme post-incestueux, précisément dans le transfert à mon adresse : lors d’une autre séance, après avoir réalisé spontanément le dessin d’une bosse très évocatrice d’un changement de taille d’un sexe masculin, elle s’introduit dans la bouche le gros feutre avec lequel elle vient de dessiner. Me regardant du coin de l’œil, la tête penchée avec un grand sourire enjôleur, elle poursuit ses mouvements de va-et-vient dans sa bouche, se cachant derrière le tableau, jusqu’à ce qu’il lui soit dit qu’« elle pouvait s’arrêter, le grand-père beurk n’étant plus tout le temps à l’intérieur de Sabine… Il peut repartir en prison ». | ||
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Son conditionnement érotique lui faisait mimer la fellation dans un jeu de transfert à mon adresse là où elle était en partie identifiée à son agresseur dans sa gestuelle perverse la plus flagrante, ici provisoirement dénouée par la parole de la thérapeute, par l’interprétation de sa fragmentation : l’abuseur en elle a été nommé. | ||
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Cette conduite séductrice-perverse d’une enfant ayant été abusée gravement mérite d’être comprise d’abord comme autosacrificielle, car elle rejoue en acte avec moi et en présence des autres adultes un transfert de ce qu’elle a subi passivement sous la contrainte et le chantage. En offrant ainsi sa participation érotique active, elle met en scène les compulsions de répétition dont elle ne pourra pas se déprendre seule. Cela nous démontre à quel point elle va spontanément se mettre en danger. Le premier temps du soin psychanalytique est donc de défusionner son geste de ce qu’elle a vécu et donc de défragmenter cette identification inconsciente à son grand-père violeur. | ||
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Ce premier temps de l’interprétation ne peut fonctionner que si l’enfant est concrètement protégée des agissements divers et variés de son groupe familial particulièrement toxique (surtout grave du fait de la complicité maternelle). C’est pourquoi le travail entrepris est médico-socio-judiciaire ; le psychiatre, ou le pédiatre, ou le psychanalyste seul ne peut pas gérer ce type de pathologie. Donc, psychothérapie de réseau d’abord, thérapie individuelle de l’enfant plus tard. | ||
Dans tous les cas tragiques comparables à celui de Sabine que nous suivons en thérapie pendant plusieurs années, l’enfant va d’abord se présenter comme dissocié (did, « dissociative identity disorders » du dsm iv, notion que l’on retrouve chez Georges Devereux sous le concept d’identité dissociative d’un groupe ethnique par rapport aux groupes environnants). Cet enfant-là va se fragmenter psychiquement, modifier parfois sa version des faits, transformer ses perceptions, exprimer deux positions contradictoires en même temps. C’est donc beaucoup plus qu’un clivage structural du sujet, c’est « l’atomisation de son moi », sa fragmentation, « la perte de la confiance en ses perceptions » (Ferenczi), « la séquestration » (lettre de Ferenczi à Freud 1197, t. III), associées à toutes les conduites d’évitement caractéristiques des syndromes post-traumatiques (ptsd, « post traumatic syndrom disorders »), dont les phobies sont une trace certaine relative à la personne mise en cause, traduction clinique la plus flagrante, y compris chez Herbert Graaf, le petit Hans (menacé de castration par sa mère puis transformant l’objet phobique en une série père-cheval blanc-girafe) et chez « Arpád le petit homme-coq » (attaqué sexuellement par le bec d’un chapon). Chez ce dernier, les troubles graves de son comportement maniaque et de son langage devenu caquetage de gallinacé, étaient associés à toutes les conduites d’évitement caractéristiques des syndromes post-traumatiques, repérables surtout à la suite immédiate des formes brutales de traumatisme sexuel, avec éclosion des symptômes après une année de latence et développements fantasmatiques de conduites ritualisées désignées par Freud lui-même comme « totémisme positif ». |
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Ainsi voit-on apparaître des fantasmes postincestueux et des conduites d’identification à l’agresseur, qui sont les deux axes les plus pertinents pour aborder le traitement psychanalytique de ces enfants en grande souffrance psychique de type prépsychotique, mais curables, dont le pronostic va dépendre en partie de la prise en charge proposée. |
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Ces moments de la dynamique pulsionnelle en train de se défragmenter sont très riches, comme nous venons de le voir, mais leur analyse, aussi psychanalytique soit-elle, ne suffit pas pour sortir l’enfant de son désarroi. | ||
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Beaucoup d’écueils existent encore dans le champ socio-judiciaire qu’il va falloir surmonter, car ils fonctionnent comme des données mytho-fantasmatiques qui peuvent freiner la compréhension du cas par les juges, par les experts et parfois par les avocats de l’enfant eux-mêmes : | ||
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Toutes ces positions sont utiles à la plaidoirie de l’avocat de l’adulte incriminé, mais l’enfant victime d’un adulte a un besoin urgent d’un avocat qui défende ses droits, pas d’un militant du secret camouflé en défenseur de l’enfance et qui lui demande de pardonner à l’auteur de ses jours, comme s’il s’agissait d’un excès ou d’un accès de tendresse ! | ||
Dans d’autres situations, quand la justice n’a pas encore statué, pour porter un diagnostic, il faut d’abord éliminer les situations où les manipulations mensongères d’un des deux parents existent et méritent prudence et circonspection pour ne pas entériner une des deux versions d’un conflit conjugal en pleine crise. |
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Parfois l’enfant fait des mensonges par procuration, pour se protéger, mensonges de nécessité. Ferenczi écrit : « Clivage de la personnalité, aveu de comportement mensonger, oublier toute une journée de sa vie, mensonges infantiles et imitation du comportement mensonger de l’adulte » (lettre à Freud 1070). Freud écrit dans « Le petit Hans » : « Les enfants non plus ne mentent pas sans raison et ont, en somme, plus de propension à aimer la vérité que n’en ont leurs aînés. » | ||
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On rencontre parfois des allégations pathologiques faites par une mère anxieuse et accusant le père d’avoir des conduites perverses sur leur fils ou leur fille mineure, mais ce n’est qu’un des éléments de l’évaluation. Dans les quelques cas de ce type que j’ai rencontrés, la supercherie de la mère est apparue assez rapidement, tantôt comme une véritable manipulation consciente, tantôt comme une illusion inconsciemment entretenue. |
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Voici trois exemples de mensonges assez frappants. | ||
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Lors d’une première consultation d’une mère très revendicatrice avec sa fillette Lola, 8 ans, celle-ci va démasquer elle-même sa mère en me disant devant elle : « Mais Maman, cette lettre que tu montres au docteur, ce n’est pas moi qui l’ai écrite, c’est ma copine !… » Ce qui stoppe pour un temps la revendication passionnelle que cette mère passait à l’acte dans sa plainte contre le père de l’enfant, en s’appuyant sur cette lettre racontant un abus sexuel supposé, écrite par sa fille. La tentative de m’induire en erreur est ici déjouée par la fillette elle-même. La mère accepte devant moi, avec une belle indifférence toute hystérique, cette proposition nouvelle qui change pourtant radicalement sa propre définition de la situation. Cinq minutes avant, cette lettre était une preuve, maintenant on parle d’autre chose. Je ne les ai jamais revues… |
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Soit un fils de 11 ans, David, qui réussit à me faire comprendre, sur un mode analogique, que l’angoisse incestueuse dont sa mère est porteuse n’est pas son discours à lui. Ne pouvant pas échapper aux injonctions-inductions maternelles relatives au moindre geste du père, ce garçon particulièrement éveillé a trouvé deux voies de sortie à ce bombardement interprétatif subdélirant de sa mère. Premièrement, tomber malade somatiquement (néphrite, occlusion), l’hospitalisation en urgence permettant une mise à l’abri temporaire de son équilibre psychique. Ensuite, au cours de ces deux épisodes hospitaliers sans aucune conséquence organique, en séance avec sa mère, quelque temps plus tard, grâce à une relation de confiance difficilement établie avec moi mais de plus en plus solide, j’ai pu percer à jour la distorsion du discours maternel (après avoir vu le père et le frère, lui aussi en grand désarroi), et ce garçon a pu me montrer analogiquement son conflit de loyauté. | ||
En simplifiant, disons que sa mère voulait qu’il me parle : « Sois spontané mon fils, dis ce qu’il t’a fait, ce monstre…», insistait-elle. C’était, devant moi, un véritable harcèlement inducteur et interprétatif au sens paranoïaque du terme : le garçon alors s’est mis à parler de façon toute nouvelle, lui qui était toujours très clair et précis, en se tortillant sur son siège, le visage caché derrière son bras, la voix blanche et entrecoupée de soupirs et de pauses, de sourires dissociés de sa parole, de mimiques en forme de grimaces, me racontant les misères toutes banales que lui faisait son père. Cette scène était pour moi flagrante du « mensonge de nécessité ». En effet, la force intrusive de cette mère manœuvrait en permanence ses enfants et le thérapeute par une identification projective de haut niveau, et son fils était porteur de la transcription du désir de sa mère visant inconsciemment à réaliser une vengeance à l’égard du père des enfants. | |||
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Un an après, cette thérapie mère-enfant continue sur des bases beaucoup plus saines ; le fils reconnaît qu’il se méfiait de moi au début, mais maintenant il veut faire le même métier que moi ou bien être avocat pénal international… La mère peut parler de son propre vécu traumatique d’enfant abandonnée dans le cadre d’une analyse personnelle, lui permettant d’aborder enfin son vécu passionnel réactivé du fait du départ du père de ses enfants. À la suite de cet épisode, les plaintes en justice ont été retirées… | ||
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Soit une petite Roxane qui suit fort bien son cp mais présente de nombreux symptômes allergiques et des tics. Les parents sont séparés depuis peu et la fillette s’est confiée à la petite amie de son père. Elle a raconté des caresses sexuelles de la part de son grand-père maternel, mais elle refuse d’en reparler en disant : « Je veux pas qu’il se mette en colère. » | ||
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On comprend la perplexité des parents qui viennent me consulter avec leur fille, mais leur idée majeure est que rien de cela n’est sérieux, ils ont déjà défini la problématique de leur fillette en la désignant comme une menteuse extraordinaire… Elle aurait raconté à l’école qu’elle avait une grande sœur ! Mensonge, c’était la baby-sitter… Elle raconte aussi qu’à la maison il y a un chat… Mensonge flagrant, c’est un chien ! Elle dit qu’il va y avoir une petite sœur : encore une invention insolente ! | ||
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Très à l’affût de ma réaction, Roxane va surenchérir dans ses élucubrations provocantes en jouant du mieux qu’elle peut ce personnage qui affirme une contre-vérité avec le plus grand naturel. En jouant la menteuse dans de telles proportions, elle montre et cache en même temps une dimension d’un moment vécu par elle de secret et de menaces qu’elle ne peut pas gérer autrement. | ||
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Vraisemblablement aussi en identification au grand-père (pourquoi ne serait-il pas intimidateur et menteur ?), elle trouve de cette façon la meilleure économie libidinale à son problème, avec ses mensonges-symptômes en série qui sont des appels au secours et ses secrets angoissants pourtant dits, mais comme on dirait n’importe quoi… C’est donc une forme d’annulation rétroactive de sa parole sous cette forme subtile où elle s’autodisqualifie par cette mythomanie compulsive : autosacrifice de son intégrité de pensée pour mieux sauver l’image idéalisée, donc clivée, du grand-père. | ||
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Dans ces trois cas, l’ambiance est incestuelle (référence à Paul Claude Racamier et Léonard Shengold, parlant de séduction narcissique abusive, de disqualification des besoins de l’enfant, de carence affective, jusqu’aux manipulations incestueuses.) Ce climat est lourd et suspect dans la famille de Roxane, et les processus projectifs sont nets chez les mères de Lola et David. Dans la famille de Roxane, rien n’est clair pour l’instant mais le symptôme du mensonge effronté, véritable dissociation psychique, signale une transaction familiale qui mérite un travail sur les différents protagonistes de ces deux lignées familiales. En l’absence de ce travail, on pourrait toujours soigner ses tics, son asthme et déplorer sa mythomanie perverse ; si rien n’est compris de ce qui s’est passé pour elle, le pronostic sera sombre, car les présomptions d’abus sexuel existent bien. | ||
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Ainsi vont apparaître trois types de phénomènes qu’il faut apprendre à repérer : | ||
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Dans les moments de guérison de ces clivages de l’identité, on assiste à la naissance en séance d’un enfant non incestueux, objet de tous les soins attentifs de la part de ces fillettes qui jouent leur réparation intérieure sur ce terrain de leur féminité à venir, et se reconstruisent une image du corps protégée. |
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Je vais développer trois exemples de défragmentations constatées en séance. |
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Chez Sabine, le bébé-beurk est confié symboliquement aux thérapeutes pour qu’il reste en dépôt au centre et qu’elle puisse donc s’en libérer. Ce n’est plus un sacrifice d’elle-même, elle arrête de se mettre en danger physiquement par ses acrobaties et moralement comme elle le faisait en attaquant sexuellement les garçons de son entourage. Elle se délivre d’un « tératome, d’un jumeau intérieur » (formule de Ferenczi dans « Principe de relaxation et néo-catharsis »). Elle se sépare d’un corps étranger qui, comme une partie morte d’elle-même, comme un « séquestre », venait envahir son psychisme ; et dans son transfert sur notre groupe de protection, elle peut nous le confier « pour qu’on le soigne », dit-elle. | ||
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Chez une petite Sophie du même âge, c’est un chien à trois pattes, blessé à l’oreille, les poils arrachés, devenu borgne par les coups reçus et à la queue coupée (animal cinq fois castré), qui se retrouve un jour dessiné devant nous avec tous les indices d’une métamorphose réussie, d’un chien complet et heureux de vivre, quand les juges ont enfin protégé toute la fratrie de Sophie, sœur aînée de quatre enfants, tous en grand danger de maltraitance mortelle de la part de leurs parents biologiques. | ||
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Ferenczi écrivait à Freud : « Je crois aux processus psychiques et autres chez nos névrosés, qui se déroulent dans les moments de danger de mort réel ou supposé ». Il poursuit : « C’est bien là le chemin par lequel j’en suis arrivé à renouveler la théorie du traumatisme, apparemment vieille (ou du moins provisoirement mise de côté) » (Lettre 1184 du 20 juillet 1930). | ||
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Chez une petite Lili âgée de 5 ans, une girafe dite « crapulasse », parce qu’elle « est sale et fait des méchantes choses», lui permet une défragmentation par rapport à des tortures subies depuis ses premières années de la part d’une pseudo-grand-mère, pédophile criminelle, d’abord représentée comme licorne. Cette fiction symbolisante très vivace chez cette enfant non psychotique se transforme un jour en un bébé-rose, baptisé Rosa, bébé fantasmatique qu’elle attribue à sa nouvelle mère d’accueil (première maman pour elle) qu’elle peut enfin apprendre à câliner avec tendresse. Mais pour en arriver là, il fallait que fût surmonté l’effroi traumatique de ces attaques rituelles d’une mère malade mentale associée à la pseudo-grand-mère où des scènes sadiques se déroulaient dans des scénarios de groupe avec photos après déguisements, films en situation pornographique et personnes étrangères invitées avec son père au spectacle pervers, les enfants ayant été préalablement drogués. |
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Elle-même, Lili, devint devant nous ce bébé-rose qui prit naissance dans la thérapie (in statu nascendi), ce qui put lui permettre de fusionner enfin ses pulsions, de recomposer métaphoriquement ses facettes dissociées d’une identité en morceaux – girafe-sale-méchante-licorne-poney, tous animaux d’abord phallicisés par elle dans ses dessins – de se mettre à oublier les horreurs qu’elle avait vécues, de se mettre à faire des soustractions et de dormir tranquille sans se masturber en permanence. | ||
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Après que tout a été révélé aux brigades des mineurs compétentes, chaque intervenant attend dans ces cas-là que le procès aux assises soit le lieu de reconnaissance de ces tragédies liées à cette pédocriminalité incestueuse pour que ces enfants gravement abusés dans leur très jeune âge puissent enfin avoir une chance d’être des sujets de droit et qu’ils soient reconnus comme victimes de leurs ascendants. | ||
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L’inceste passé à l’acte sur un mode d’une telle « violence impensable » leur a dénié tout accès à une dimension humaine d’être sujets de leurs désirs, du fait des conditionnements sadiques. Une thérapie individuelle sera bien utile plus tard, après une réconciliation avec leur image du corps et un minimum de reprise de confiance par ces mères d’accueil qui les aiment, adultes adoptés par l’enfant comme référence, avec leurs gestes, leur parole donnée, leur attention bienveillante et une disponibilité sans égal. |
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Quand l’abus sexuel s’annonce comme réalité cachée, on constate une dissociation de l’identité, et l’enfant s’autoaccuse alors d’avoir menti après avoir révélé ce qui s’est passé ! « Excuse-moi maman, j’ai dit n’importe quoi, je ne sais pas pourquoi j’ai menti… » Où l’on peut voir aisément, dans cette rétractation, la trace de l’hypnose subie, devant cette dissociation que l’enfant peut énoncer sans trouble. L’enfant préadolescente ne sait plus pourquoi elle a dit ce qu’elle a dit… | ||
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Une distorsion redoutable consisterait, à partir de cas comme celui-ci, à en déduire que ces accusations d’actes incestueux sont d’abord ou presque toujours des soupçons malveillants utilisés comme « arme du divorce » ; cela c’est déjà vu pourtant, mais quand cela existe, c’est rapidement décelable. | ||
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Ferenczi préconisait : « Prendre en compte les mécanismes de base des productions des psychotiques et de ceux ayant subi des commotions traumatiques, extension de nos représentations métapsychologiques (fragmentation, atomisation, séquestration) » (Lettre 1197). | ||
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Le diagnostic à faire quelquefois est de repérer une préoccupation incestueuse de la mère, inductrice et assez peu mobilisable, mécanisme de base chez une mère de structure psychotique dont l’identification projective est le moyen habituel de contrôle. Quelquefois, c’est la pathologie mentale maternelle qui devient évidente (psychose hystérique, souvent avec une tendance sensitive exacerbée chez ces mères anciennes enfants placées, maltraitées, psychopathes, toxicomanes, narcissiquement très perturbées, parfois franchement psychotiques). | ||
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« Le rapport entre le mécanisme plus fin du trauma psychique et la psychose s’organise », comme l’écrit Ferenczi (Lettre 1182). | ||
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En conclusion, ce à quoi on assiste le plus souvent, c’est une sous-évaluation de la réalité traumatique par les professionnels, par les soignants, par les référents des services sociaux ou judiciaires, mais aussi, pour d’autres raisons, par l’enfant lui-même ou par ses proches, conséquence de la confusion des rôles induite chez l’enfant par un comportement pédophile incestueux, quand c’est le langage du passionnel et les actes qui l’accompagnent qui ont fait effraction. De là vont apparaître ces attitudes de l’enfant abusé qui cherche à minimiser ce qui s’est passé, en se rétractant après avoir parlé, c’est-à-dire en s’accusant d’être un menteur ; c’est « l’autosacrifice de son intégrité de pensée », pour mieux sauver l’image idéalisée du parent. |
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Quand cette dimension-là est saisie dans toute son ampleur, alors, grâce à la prise en charge, ses troubles de l’identité, ses dissociations, sa culpabilité introjectée peuvent commencer à se défragmenter pour un accès à un équilibre inconnu de lui jusque-là. C’est aussi mettre en place par cette psychothérapie de réseau une « relation du sujet à la vérité comme cause », mais d’un sujet naissant qui doit d’abord être fondé et reconnu sujet de droit, ce qui lui était refusé par l’inceste agi, pour qu’il ait une chance de devenir, avant qu’il ne soit trop tard, sujet de son désir. | ||
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