Dr Pierre Sabourin | |||
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2011 | |||
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Un concept crucial : l’identification à l’agresseur |
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Centre des |
Le Coq-héron, 2005/2 (no 181) |
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Quatrième |
Chacun connaît la mauvaise presse de cette notion ferenczienne de la première heure. |
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Arpad, âgé de 4 ans, le petit homme coq, repéré par Freud dans Totem et tabou comme exemple d’un « totémisme positif », observation qu’il désigne dans une lettre à Ferenczi comme « un régal et qui aura un grand avenir », n’a pas suscité l’enthousiasme des générations suivantes. Si l’attaque subie par un enfant n’est pas en effet envisagée avec cette consistance historique bien véridique, l’identification inconsciente qui en résulte n’est pas considérée à sa juste place. Dans la mesure où le traumatisme est renié ou dénié, l’agresseur introjecté peut être alors connoté, chez l’adulte, d’un fantasme d’incorporation ou d’un « système de défense contre des pulsions scoptophiliques », suivant les descriptions tardives et bien ambiguës d’Anna Freud (1937)… |
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Le petit patient de Ferenczi de 1913, Arpad, pousse des cocoricos maniaques du matin au soir en jubilant de l’égorgement des poulets, ritualisant sa conduite devant cet animal tant redouté et admiré à la fois, souhaitant épouser toutes les femmes de la maison. Il était alors comme un petit coq de village, lui-même phobique devant ces volatiles, ne parlant plus sa langue maternelle, transformé par son changement de caractère ; sa famille s’inquiète, il est temps qu’une rencontre thérapeutique advienne pour lui, et qu’un tiers intervienne. Ferenczi va le recevoir et faire le lien entre l’attaque sur son sexe par le coq, ses masturbations incessantes précédant cet événement et ses peurs relatives aux menaces anciennes qu’on lui coupe son sexe « si ça continue », ce que le bec du coq avait presque confirmé… Ses fantasmes sont consécutifs à cette attaque. Ils sont diversifiés sur le mode sadique, « je vais vous couper par le milieu », cannibalique, « je voudrais manger de la maman confite », sur un mode dépressif et autopunitif : « Je voudrais brûler qu’on me casse le pied, qu’on le mette au feu, m’ouvrir la tête, me découper la bouche pour ne plus en avoir », etc., enfin tout ce qui se passe dans une cuisine à la campagne… Ferenczi en 1932 trouvera cette métaphore célèbre : « On pense aux fruits qui deviennent trop vite mûrs et savoureux, quand le bec d’un oiseau les a meurtris, ou à la prématuration hâtive des fruits véreux. » |
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Dans les situations de maltraitances précoces et d’inceste passé à l’acte concrètement sur l’enfant prépubère, telles que nous les recevons en thérapie depuis plus de vingt ans au centre des Buttes-Chaumont, on constate régulièrement ces blessures profondes du narcissisme du fait de ces mécanismes d’introjection pour la survie. C’est toute la pathologie liée à la traumatogenèse, avec dissociation d’identité, clivages, régression, et « introjection du sentiment de culpabilité de l’adulte par l’enfant » (Ferenczi, 1932). C’est cette identification inconsciente à l’agresseur dans son acte même, du fait d’une effraction psychique et d’une fragmentation consécutive, « atomisation, autodéchirure », écrit-il, qui va cohabiter avec d’autres composantes de l’identité en devenir de l’enfant, et aboutir à ces tableaux cliniques impressionnants d’un enfant mineur pervertible devenu perverti, capable à son tour d’abus sexuels sur des plus jeunes, essayant de régler de cette façon spontanée les conflits de loyauté à l’égard de son abuseur et par là même les bouleversements dépressifs et la honte liée à cette première position passive. Retournant ses pulsions en leur contraire, de passif il devient actif et passe à l’acte. Voilà pourquoi cette identification-là, inconsciente et très puissante, est un concept crucial pour aborder ces pathologies. |
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L’exemple du jeune Lucas, âgé de 13 ans, dont je vais brièvement retracer l’histoire par le biais des passages signifiants des premières séances, est démonstratif de cette véritable dissociation d’identité qu’il incarne depuis les abus sexuels subis. Le dessin spontané qu’il fait de son visage nous en offre une représentation exceptionnelle. Lucas est un préadolescent que nous recevons au centre, Martine Nisse et moi, adressé par un juge des enfants. Ses parents sont des artisans primaires et rigides dans leur éducation, tout à fait bouleversés d’apprendre la plainte qui accuse leur fils unique. En effet, il y a un an Lucas aurait attaqué sexuellement un garçon plus jeune. Est-ce possible ? Devant les réactions embarrassées de Lucas dans l’impossibilité d’exprimer si c’est vrai ou non, la décision du juge est de lui attribuer un éducateur spécialisé et de nous indiquer comme thérapeutes. Lucas ne va pas très bien (il change de caractère depuis peu, avec des insomnies rebelles, des plaintes corporelles variées, des insolences inhabituelles, des soirées arrosées avec drogue, etc.). À cette première séance nous recevons donc ensemble ce jeune garçon, ses deux parents et l’éducateur, pour une psychothérapie familiale de réseau. Très vite nous apprenons l’histoire de son ancien instituteur, qui doit incessamment passer en cour d’assises dans son département, à la suite de six plaintes à son encontre pour pédophilie. Le père de Lucas s’était bien douté de quelque chose… La mère de Lucas ne comprend pas ce qui lui arrive à elle… L’éducateur se trouve visiblement dans une excellente relation de confiance avec le garçon. Dans la séance, Lucas adopte des positions très contrastées, tantôt un petit garçon immature et passif, gentil bébé qui se repose et s’ennuie, tantôt à l’inverse rapide et agressif, le regard meurtrier, prêt à bondir… (ce qui est typique de la dissociation d’identité des enfants victimes). |
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Mais il aime beaucoup dessiner et depuis trois ans, comme un automate, il recouvre toutes les surfaces possibles du même graffiti, énigmatique, depuis donc l’âge de 10 ans, époque où il était dans la classe de cet instituteur, précisément. Il le dessine volontiers sur notre paper-board en séance et nous restons perplexes devant cette figure de bande dessinée, ce regard voyeur aux yeux exorbités derrière une ligne courbe, avec Coucou… Ce n’est que plus tard que nous verrons l’ensemble du dessin reproduit ci-dessus. Son graphe compulsif n’est constitué que de cette figure énigmatique, ici au centre du dessin global. Je lui demande seulement si ce personnage regarde derrière un mur. « Non, répond-il agacé, c’est un corps. » |
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« Les enfants se sentent physiquement et psychiquement sans défense, leur personnalité encore trop faible pour pouvoir protester, même en pensée, la force de l’autorité des adultes les rendant muets peuvent même leur faire perdre conscience. Mais cette peur, quand elle atteint son point culminant, les oblige à se soumettre automatiquement à la volonté de l’agresseur, à deviner le moindre de ses désirs, à obéir en s’oubliant complètement et à s’identifier complètement à l’agresseur. Par identification, disons par introjection de l’agresseur, celui-ci disparaît en tant que réalité extérieure et devient intrapsychique. Mais ce qui est intrapsychique va être soumis au processus primaire, dans un état proche du rêve, comme l’est la transe traumatique, c’est-à-dire que ce qui est intrapsychique peut, suivant le principe de plaisir, être modelé et transformé sur un mode hallucinatoire, positivement ou négativement. Quoi qu’il en soit, l’agression cesse d’exister en tant que réalité extérieure et figée, et au cours de la transe traumatique, l’enfant réussit à maintenir la situation de tendresse antérieure. |
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Ainsi le changement significatif provoqué dans l’esprit de l’enfant par identification anxieuse au partenaire adulte et introjection du sentiment de culpabilité de l’adulte. Le jeu apparemment anodin apparaît maintenant comme un jeu méritant une punition. Si l’enfant se remet d’une telle agression, il en ressent une énorme confusion, à vrai dire, il est déjà clivé, à la fois innocent et coupable, et sa confiance en lui, dans le témoignage de ses sens, est brisée. S’y ajoute le comportement grossier de l’adulte, encore plus irrité et tourmenté par le remords, ce qui rend l’enfant encore plus profondément conscient de sa faute et encore plus honteux. Presque toujours l’agresseur se comporte comme si de rien n’était, et se console avec l’idée : « Oh, ce n’est qu’un enfant, il ne sait rien encore, il oubliera tout cela. Après un tel événement il n’est pas rare de voir le séducteur adhérer étroitement à une morale rigide, ou à des principes religieux, en s’efforçant par cette sévérité de sauver l’âme de l’enfant. » (Nous avons vu dans notre centre plusieurs de ces situations cliniques où l’abuseur renforce sa position perverse de son appartenance au clergé. La confusion chez l’enfant qui en a été victime est à son comble, mais sans psychose si la thérapie familiale permet une transformation du système familial, qui était auparavant naïvement complice de ce prêtre agresseur.) |
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C’est tout le problème décrit déjà par Ferenczi dans cette phrase « Le pire c’est vraiment le désaveu » par cette mère de la parole de son enfant… Ce qui rend le traumatisme pathogène » (voir « Analyse d’enfants avec les adultes » 1931). Il poursuit un peu plus loin : |
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(Vous connaissez tous le syndrome de Stockholm chez les otages adultes. D’autre part la confusion introduite par Anna Freud n’a rien arrangé ; tout se passe comme si elle ne parvenait pas à suivre Ferenczi sur ce terrain, avec qui elle se met en contradiction quand elle évoque une « défense contre des pulsions ».) |
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Une phrase de Catherine Allégret dans son témoignage récent Le monde à l’envers (oct. 2004) trouve un adjectif approprié : « La victime que j’étais s’est affublée d’une peau d’âne parce qu’on lui avait fait porter le poids d’une irrémissible culpabilité » (irrémissible=impardonnable). En extrapolant à propos de la formation des psychanalystes, Maria Torok décrivait l’infiltration du processus pédagogique par le processus primaire pendant la cure. (À chacun d’évaluer les liens avec « La répétition en analyse pire que le trauma d’origine », Ferenczi, 4 novembre 1932, tome IV de ses Œuvres complètes). Maria Torok utilise ce concept pour décrire une certaine forme de transmission de la psychanalyse, l’endoctrinement du patient-élève où elle parle « d’incorporation et d’incorporation de l’endoctrinement ». |
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