Dr Pierre Sabourin  
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  2011  
     
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LATENCE EN QUESTION

Quelle phase de latence pour les enfants victimes de violence ?

 
   

« On pense aux fruits qui deviennent trop vite mûrs et savoureux quand le bec d’un oiseau les a meurtris, et à la maturité hâtive d’un fruit véreux. » Sándor Ferenczi. Confusion des langues entre les adultes et l’enfant, langage de la tendresse, langage de la passion [5]

 
Centre des
Buttes-
Chaumont
 

Chacun connaît ce temps de latence de la sexualité, quand l’enfant, de cinq à treize ans sous nos climats, joyeux insouciant et créatif, développe ses apprentissages avec ses impulsions ses blessures et ses enthousiasmes, quelque soit son milieu socioculturel. Une condition est nécessaire à ce développement harmonieux, qu’il soit élevé avec amour, tendresse et le respect de son identité, sans devenir pour autant, ce qui est difficile quelquefois, un enfant-roi, tyrannique et hyperactif, sans aucune limite.
Bien sûr, un certain degré d’angoisse parentale peut entraîner des dysfonctionnements mineurs, des symptômes passagers, scolaires ou domestiques, des blocages réversibles et des moments de crise, d’autant que les découvertes de sa sexualité orale, anale puis génitale ne sont pas toujours simples quand les sevrages sont problématiques pour sa mère. L’annonce d’une nouvelle naissance, par exemple, exacerbe la jalousie de l’aîné ce qui est bien banal, et peut se traduire par des symptomatologies bruyantes et mal comprises.
Parfois aussi des deuils ou des accidents de la vie, des tragédies collectives ou individuelles entraînent de graves difficultés d’adaptation de la famille, mais la qualité protectrice de l’entourage de l’enfant va lui permettre, sans trop de dégâts, de surmonter cette étape critique.
Tout au contraire, dès que la violence parentale et les accès passionnels s’en mêlent, quand l’immaturité et la pathologie mentale des parents flagrantes ou dissimulées, toujours intrusives et destructrices, sont au rendez-vous, c’est toute la construction primaire de l’enfant qui se fissure, et c’est là que le diagnostic est crucial pour prendre en compte cette dimension du contexte. C’est repérable cliniquement parfois dès avant son entrée au CP, au début de cette latence. C’est déjà un enfant traumatisé et nous sommes passés du normal au pathologique.
Comme l’écrit Freud en 1924 [1] « Le complexe d’Œdipe est le corrélat psychique de deux faits biologiquement fondamentaux, la longue dépendance infantile de l’homme et la manière singulière dont sa vie sexuelle atteint, de la troisième à la cinquième année, une première acmé, pour ensuite, après une période d’inhibition, reprendre à nouveau après la puberté. »
C’est bien cette période d’inhibition sexuelle, cette mise en veilleuse des rêveries et théories sexuelles qui va durer normalement jusqu’à la puberté, pendant laquelle s’exacerbe tout l’imaginaire possible et que sont érigées les formations réactionnelles de la morale, de la pudeur et du dégoût. Mais parfois ces attitudes à la fois naturelles et culturelles du Moi de l’enfant, sont curieusement interrompues, ce temps de latence est raccourci. Pourquoi?
Tout clinicien qu’il soit médecin généraliste, psychanalyste, psychiatre, pédopsychiatre ou pédiatre peut constater que certains de ces enfants vivent très mal cette période de leur vie car leur temps de latence sexuelle apparaît tout à coup abrégée voire supprimée. Certains pensent même qu’il n’y aurait plus de phase de latence ! Non, Freud n’est pas dépassé par les aléas de la culture contemporaine. Cette période, ce temps qui parfois se déroule sans encombres, explose aussi parfois, et quand cet enfant nous est adressé, on constate qu’il vient de modifier son comportement et ses affects. Ses conduites transgressives se multiplient, ses conflits inconscients s’installent et se traduisent par une modifications du caractère: il devient opposant, instable, taciturne. Mais il y a une scansion historique à rechercher, et parfois on découvre quand on les cherche, que les maltraitances ont commencé au berceau; parfois dans un contexte de carences multiples et d’abus en tous genres, comme chez cette fillette de quatre ans et demi qui réussit à poser une question précise juste avant de faire une révélation d’inceste maternel:« Est-ce qu’une maman a le droit d’embrasser la nénette de sa fille » ?
Dans tous ces cas une éclosion de symptômes graves apparaît chez ces enfants et impose de rechercher la « relation du sujet à la vérité comme cause », comme disait Lacan, soit comme disait Freud, « la vérité historique. ».Les symptômes quoique non spécifiques sont alarmants : phobies, fugues, dépression, troubles alimentaires, mutisme, masturbations compulsives tout à fait rebelles, isolement dans sa chambre ou à l’école, scarifications, ruminations, instabilité, excitations scatologiques débridées, exhibitions incessantes, soumission masochique et régression ou, à l’inverse, provocations en série, insultes, ou attaques sexualisées des plus jeunes, etc.…). De quoi s’agit-il? Trouble passager, prépsychose, psychose infantile, ou alors, quoi, une névrose traumatique?

 
Quatrième
Groupe
 

DÉTOURNEMENT DE L’ENFANT
Une phrase de Freud, pour être extrêmement claire, ne semble pas avoir toujours été saisie, en France, dans sa dimension contextuelle. On entend même des philosophes annoncer que l’enfant serait un pervers polymorphe…ce qui dénote pour le moins une lecture très approximative de Freud. Que lit-on en effet dans Les trois essais, texte édité cinq fois du vivant de Freud avec des passages ajoutés jusqu’en 1923, dans la traduction classique du Dr Blanche Reverchon-Jouve ?
 « Nous avons montré que les manifestations sexuelles infantiles présentaient surtout un caractère masturbatoire. Nous avons ensuite constaté en nous appuyant sur l’expérience, que les influences extérieures de la séduction pouvaient produire des interruptions prématurées de la période de latence et même la supprimer, et que la pulsion sexuelle de l’enfant se révélait alors perverse polymorphe. » [2]
On voit ici avec quelle lucidité est énoncée la potentialité de la perversion chez l’enfant qui se développera EN FONCTION ou non des expériences vécues, c'est-à-dire des influences extérieures, c’est à dire des maltraitances des abandons, des détournements etc.…(cette phrase entière étant scotomisée par nos philosophes et bien peu citée par les enseignants de la psychanalyse).
C’est d’ailleurs ce que Freud désigne dans le même ouvrage comme DISPOSITION perverse polymorphe de la pulsion, qui pousse cet enfant là à « toutes sortes de transgressions ». (Je rappelle que dans la langue de Freud c’est toujours « Verführung » – détournement – qui est traduit par ce vocable français ambigu de séduction, et que d’autre part, dans cette phrase citée, l’adverbe « alors »( souligné par moi), est la traduction d’une formule de causalité bien plus nette chez Freud, car il a écrit « in der Tat », soit « de ce fait » et non pas simplement « alors »). Une traduction récente de ce même texte par Ph. KOEPPEL, redouble cette précision dans cette phrase elle-même, traduisant par « en fait » et « à cette occasion » , que la pulsion sexuelle de l’enfant etc.… [3]. Ce retour aux textes de base n’est pas surfait pour saisir la suite de notre questionnement, en particulier dans ce numéro spécial sur la place des violences subies dans la petite enfance.
Que ces violences soient intrafamiliales, conjugales ou institutionnelles, dirigées sur un enfant choisi ou sur toute la fratrie garçon ou fille sans distinction, c’est toujours un problème grave, sans insister sur les violences tragiques des guerres récentes où sont enrôlés des enfants soldats, ce qui demanderait une toute autre réflexion. Des références psychanalytiques complémentaires à Freud comme celles de Ferenczi, Winnicott, Devereux et Racamier, se révèleront précieuses pour nous éclairer sur cette relation de l’enfant à son environnement et les perturbations caractérielles et névropathiques constatées, soit la question incontournable du trauma incestueux précoce.
Combien de simplifications voire de censures sur cette affaire des traumas dans les textes et les lettres de Freud et de Ferenczi ont été faites depuis leur mort!
En effet c’est un modèle contextuel dont il s’agit. Aucun enfant-victime, maltraité avant sa puberté ne peut résoudre son complexe d’Œdipe comme peut le faire un enfant protégé et respecté. L’enfant victime à sa naissance d’un mauvais accueil dans son foyer, va se développer avec des pulsions de mort exacerbées [4]. L’enfant battu, l’enfant violé, l’enfant humilié va se protéger de ses souffrances par clivage du Moi et une identification inconsciente à son agresseur [6], sans pour autant être porteur d’un avenir ou d’une destinée psychotique.
Ils ont tous leur période de latence bouleversée.
Cette perception de la clinique psychanalytique des traumatismes précoces, dont Ferenczi a été le pionnier incontesté, est confirmée par notre propre expérience de travail. (Relire à l’occasion de ce numéro « Confusion des langues entre les adultes et l’enfant ; langage de la tendresse langage de la passion » [5], En effet depuis plus de vingt ans, nous cherchons à résoudre ces paradoxes dangereux qui caractérisent ces familles maltraitantes de tous milieux socioculturels, y compris les plus huppés, quand nous les recevons dans le cadre du Centre des Buttes Chaumont, à Paris. C’est à partir de ces années de travail que nous pouvons nous « appuyer sur l’expérience » de ces névroses post-traumatiques précoces et proposer un cadre original de prise en charge.

 
   

Les différents Triangles incestueux
Ce sont bien sûr les différents types d’actes incestueux subis par l’enfant pré pubère qui sont au cœur de cette clinique des maltraitances. Ces passages à l’acte sexuels extrêmement délabrants, bien moins exceptionnels qu’on ne le dit, sont associés ou non à des maltraitances physiques, les coups, à des maltraitances psychiques, les humiliations en tous genres et à des maltraitances communicationnelles, hurlements insultes et projection du désir inconscient par l’adulte sur autrui, qui relèvent des pathologies parentales souvent non reconnues. Il peut s’agir aussi chez ces adultes de psychose larvée de type paranoïde ou paranoïaque, de moment maniaque, de toxicomanie, ou de psychopathie, d’engagement sectaire ou intégriste, de positions sadomasochistes dictatoriales d’un homme en position de père, de positions dépressives chroniques, de névrose hystéro phobique ou d’immaturité flagrante avec confusion des rôles et soumission chez une femme en position de mère, etc.…. Ceci concernant un parent légitime, ou un parent naturel, adoptif ou un parent d’accueil, un seul des parents ou les deux, ou encore une figure grand parentale un frère aîné ou une sœur, dénuée de scrupules et de discernement.
Cette perversion du rôle parental est souvent active depuis plusieurs années et se retrouve dès qu’on la cherche au niveau des générations précédentes. Le travail en séance sur le génogramme de ces familles, est l’instrument indispensable de cette stratégie. Voir nos deux ouvrages où ces moments thérapeutiques sont développés [6] et [12].
Quelque soit l’ambiance délétère qui empoisonne ce système familial, les fantasmes d’amour Œdipien de l’enfant pour tel ou tel parent, Oedipe simple ou Oedipe inversé, existent malgré tout, mais ils sont écrasés par l’intrusion de la sexualité génitale de l’adulte associée ou non à sa brutalité incontrôlée, et sont recouverts par la culpabilité intériorisée et la loyauté vis-à-vis de ce parent maltraitant. Voilà pourquoi vote fille est muette….
Cet adulte, parfois dénué de pathologie psychiatrique visible, présente dans tous ces cas qui nous occupent, une perversion incestueuse qui relève d’un non-respect de la loi de l’interdit de l’inceste, de son fait à lui, le parent, en principe garant de cette loi fondatrice de l’humanité! Voilà le paradoxe pathogène, c’est lui le parent, père, mère ou autre, qui par ses actes brise le tabou et impose, à la place de celui-ci, la loi du silence !
Tout est changé, le schéma structuraliste de la famille standard rassurant et idéalisé par chacun est obsolète. Ici la fonction tierce est abolie. Après passage à l’acte incestueux de la part de leur père ces enfants disent, et ce n’est pas une fiction littéraire, c’est leur réel : « Je n’ai plus de père ».
Il peut s’agir d’un père que nous avons désigné « incestueur » quand il est particulièrement meurtrier, menaçant de tuer l’enfant s’il osait parler, il peut s’agir d’une mère soit incestueuse elle-même avec son enfant parfois très jeune, soit d’une mère « incestigatrice » du fait de sa soumission aveugle et non protectrice . Dans ce cas elle devient instigatrice de ce qui se passe entre le père et un seul des enfants ou plusieurs d’entre eux, par sa complaisance sa complicité ou sa connivence. L’enfant pré pubère, otage de cette pathologie du système familial où il est plongé, est donc d’abord une victime. Il a des droits et mérite d’être désigné comme un « enfant incesté », c'est-à-dire un enfant victime, et pas seulement un « patient désigné ». Ces trois néologismes, forgés dans notre ouvrage de référence « La violence impensable» [6], permettent de cerner de quel triangle incestueux il s’agit dans cette famille dysfonctionnelle. Que l’abus de pouvoir sur l’enfant soit avéré ou seulement présumé, le signalement aux autorités judiciaires s’impose « sans délais », comme s’exprime le Procureur Redon. En tous cas c’est cette intégration de la violence dans le diagnostic qui permet le renversement dialectique suivant : l’enfant n’est plus à considérer d’abord comme un enfant-malade ou inéducable, mais bien comme un enfant victime de son milieu de vie. Il est porteur désigné des perversions. Avant d’être soigné pour ses « inadaptations » il doit être protégé. Le triangle Œdipien de chacun des trois protagonistes (de la mère, du père et de chaque enfant) est dans une faillite complète. C’est une tragédie incestueuse qui se reproduit d’une génération à l’autre. La notion si commode de « carences éducatives » souvent relevées par les services sociaux n’est pas un diagnostic suffisant et par là même fonctionne comme un masque, un camouflage de toutes les formes de harcèlement, et de toutes sortes de maltraitances, déniées par l’enfant lui-même (car identifié à son agresseur).
Le désaveu par la mère de la parole de l’enfant ou, par contagion, le même désaveu par les professionnels, (assistants sociaux, enseignants, médecins, psys, magistrats) va rendre le traumatisme encore plus pathogène. Ferenczi en a fait le premier la description théorique, comme il a su repérer le lien mère-enfant pathogène par sa formule de « cicatrice traumatique maternelle-infantile archi-originaire ».( Lire à ce propos son Journal Clinique) [7] et mon commentaire dans l’ouvrage de 1985 : « Ferenczi, paladin et grand vizir secret » sur mon site internet [8].
C’est la prise en considération de cette catastrophe sur plusieurs générations des liens pathologiques dans les deux familles d’origine de l’enfant, qui va soutenir notre disposition stratégique, laquelle sera socio-médico-psycho-judiciaire, avant que la psychothérapie individuelle de l’enfant soit indiquée.

 
   

TRAUMA PRÉCOCE ET DÉDUCTION
Devant une telle pathologie du système familial c’est une enquête et la séparation de ce milieu toxique qui s’imposent. C’est dès ce moment là que la prise en charge devient cohérente car un diagnostic de traumatisme précoce vient de s’imposer et permet une modification des enjeux narcissiques de cet « enfant en danger » et de la fratrie « enfants à risque ». C’est l’intérêt supérieur de l’enfant et le droit de l’enfant qui vont faire évoluer sa situation dès l’instant qu’un signalement au Procureur de la République est rédigé et faxé en urgence au Tribunal. Le soignant de cet enfant n’est plus tout seul. L’articulation avec les services du Procureur, et du juge pour enfants est le moment clef de cette première étape du traitement. Les enquêtes, les auditions et les expertises suivront. Avant de vouloir sauver une psychothérapie déjà engagée, il faut sauver cet enfant.
Je rappelle que « Le médecin doit être le défenseur de l’enfant lorsqu’il estime que l’état de sa santé est mal compris ou mal préservé par son entourage. » (Code de Déontologie Médicale, article 43). Depuis peu, le 2 Janvier 2004, une nouvelle modification du Code Pénal permet au médecin de faire un signalement au Procureur sans risquer les foudres bien connues des Conseils de l’Ordre. C’est assez nouveau pour que la traditionnelle frilosité médicale sur ce terrain puisse enfin s’estomper. Devant ces présomptions de maltraitances nous sommes face à une exception au secret médical qui autorise et même impose la levée du secret, ce qui permet la rédaction d’un signalement par le médecin, associé en cela par son équipe quand il est médecin institutionnel.

Si d’aventure un psychanalyste était surpris par la tournure que prend notre description, qu’il se rassure en lisant le morceau de bravoure de Freud quant aux transformations des fantasmes dans son texte « Un enfant est battu, Contribution à la connaissance de la genèse des perversions sexuelles », il pourrait y lire précisément ce qui suit :
« Celui qui néglige l’analyse de l’enfance doit nécessairement succomber aux erreurs les plus lourdes de conséquences . En mettant l’accent sur l’importance des premières expériences vécues on ne sous estime pas pour autant l’influence des expériences plus tardives; mais les impressions de la vie qui viennent après parlent assez fort dans l’analyse par la bouche du malade, alors que c’est au médecin d’élever la voix en faveur du droit de l’enfance. » [9]

Ce dernier passage souligné par moi démontre la sagacité dont Freud pouvait faire preuve, en 1919, alors qu’en insistant sur sa découverte des phases naturelles de la sexualité infantile et des fantasmes qui s’y rattachent, il ne négligeait pas pour autant la notion du DROIT en raison des origines traumatiques de ces pathologie de l’enfant. Il écrit à la page précédente : « Lorsque nous trouvons chez l’adulte une aberration sexuelle, perversion, fétichisme, inversion, nous sommes en droit de nous attendre à découvrir par anamnèse un tel évènement fixateur dans l’enfance ».( C’est encore moi qui souligne).
C'est dire l’importance qu’il y a de découvrir un évènement dont l’effet a été fixateur, c’est à dire traumatique dans l’enfance de cet adulte, et donc étiologique des perversions constatées plus tard, pédophilie, zoophilie, fétichisme ou autre perversion monomorphe.
Plus tard, en discussion serrée avec son ami et collaborateur fidèle, Sándor Ferenczi, Freud lui écrira une phrase qui résume tout ceci en quelques mots « On ne peut guère parler de trauma sans traiter en même temps de la formation réactionnelle. Car cette dernière est également la cause de ce que nous voyons; les traumas nous devons les déduire » [10].
Où l’on peut saisir qu’en suivant Freud dans ses développements sur ces problèmes de l’enfance en danger dans son milieu, on voit que chez l’adulte aussi il faut donc déduire les propres traumatismes infantiles de ces adultes, parce qu’ils sont cachés, ce que tout psychanalyste constate. Un auteur français contemporain, Georges Devereux a bien repéré cette pathologie qu’il désigne « attitude contre-œdipienne de l’adulte » quand il écrit : « Nous proposons seulement d’abandonner la tarte à la crème pseudo-analytique selon laquelle la réalité n’est pas analysable, et au nom de l’intérêt légitime que nous portons au fantasme infantile, de prêter attention à certaines formes de comportement « adultes » qui révèlent les tendances destructrices et incestueuses inconscientes des parents. ». [11]

Voilà pourquoi il faut « élever la voix en faveur du Droit de l’enfance », quand on constate l’existence de ces « tendances » qui sont aussi, et c’est encore pire, des passages à l’acte, donc des délits. C’est précisément ce que nous nous employons à mettre en œuvre, en modifiant le cadre traditionnel de ces prises en charge.

 
   

AU CENTRE DES BUTTES CHAUMONT ces situations graves de maltraitances incestueuses d’origine paternelle ou maternelle avec parfois des négligences conjuguées des deux parents, nous sont adressées le plus souvent par les services de l’Aide Sociale à l’Enfance, organisme qui assure la prise en charge financière des séquences thérapeutiques spécialisées dont nous allons détailler les modalités. Notre ouvrage publié en 2004 « Quand la famille marche sur la tête » [12] fait le point après plus de vingt ans de ces expériences cliniques.
Il y a d’abord deux euphémismes dont il faut dissiper l’ambiguïté théorique: Quand il y a des atteintes ou des agressions sexuelles ou des viols au sein de ce système familial, il ne s’agit pas de banale séduction ni de « gros complexe d’Œdipe », mais au contraire de transgressions délictuelles ou criminelles, camouflées par l’entourage. La formule de Winnicott d’«environnement pas suffisamment bon » serait elle aussi, peu fiable comme peut l’être un euphémisme, en masquant, dans ces cas là, l’intensité des passages à l’acte incestueux. Par contre la description par Winnicott d’une « agonie impensable » [« unthinkable agony », 13] dans son texte de 1970 cité en référence, entre en résonance avec notre ouvrage collectif de 1991 : « La violence impensable » [6] et démontre la sagacité bien connue de ce précurseur, dont chacun sait que le concept de faux-self s’adapte très bien à ces pathologies post-traumatiques..
Dans chacun de ces moments thérapeutiques nous constatons non seulement une interruption flagrante de la période de latence de cet enfant, ce qui donne l’alerte, mais aussi des symptômes liés aux positions prises en réaction au trauma lui-même, formations réactionnelles, comme le clivage post-traumatique, et les dissociations de l’identité qui persistent longtemps après le célèbre PTS le syndrome post-traumatique, [14] dont les effets sont surtout de l’ordre du choc. (Les lecteurs attentifs des lettres de Freud se souviendront de son énoncé du « choc sexuel- présexuel » [15] (présexuel c'est-à-dire pré pubertaire), traduction de « Sexual-schreck ») traduit encore par « effroi sexuel », dans la version enfin complète (non censurée) de la correspondance Freud-Fliess. [16]

Les transgressions dont cet enfant se rend coupable vont avoir des conséquences en chaîne.
Sa masturbation compulsive domine le tableau; c’est un symptôme qui n’a rien à voir avec l’autoérotisme banal, mais prendrait plutôt à nos yeux une valeur pathognomonique, quant à l’initiation sexuelle précoce qu’il a du vivre, et dont tout clinicien se doit de faire l’hypothèse. En effet ses actes auto-érotiques sont compulsifs, incontrôlés, se manifestent en public, sans critique ni possibilité qu’il se retienne. Il demande parfois à un adulte de le masturber ou il cherche les contacts érotisés en famille ou en institution. Il ne s’agit pas seulement de réassurance narcissique ni de recherche de plaisir simple, cet enfant exhibe ce qu’il a vécu dans son milieu d’origine et le reproduit, comme il se doit, par son transfert dans son cadre de vie ou en séance. Un mot à propos du concept mort-né de traumatophilie, construit sur le modèle de toutes les perversions de l’adulte : Zoo.., copro.., nécro.., pédophilie …Il ne mérite pas qu’on s’y attarde si ce n’est pour repérer ce qu’il représente, soit la méconnaissance du trauma précoce et donc des causes de ces attitudes perverses.. Un tel enfant est en effet à la recherche active de cette excitation qu’il a lui même subi passivement. L’hypothèse du trauma caché, répété, et souvent impensable pour le thérapeute, permet, au contraire d’éviter cette fiction d’un attrait pour le traumatique par l’enfant, et ainsi accéder à une perception du contexte désidéalisé. Qu’il soit devenu voleur, violeur, menteur, fabulateur, mineur-agresseur, cet enfant désigne ainsi d’abord les transactions perverses de son entourage qu’il reproduit. Plus cette compréhension est tardive, plus la pathologie de l’enfant s’installe et s’aggrave vers une prépsychose une décompensation dépressive ou une psychopathie. Ces trois pronostics existent.

Winnicott a su désigner ces enfants comme des «laissés pour compte» et contrairement à une première lecture de leur pathologie transgressive ils ne sont pas « désadaptés » mais bien au contraire sur-adapté au système de terreur, de manipulations et de haine dans lequel ils sont otages. Dans une de ses dernières conférences en 1970  [13 ] Winnicott a écrit:
« La rigidité de l’organisation défensive de ces enfants prouve qu’ils portent en eux les « agonies impensables » dues à un dysfonctionnement de l’environnement ou à des dysfonctionnement répétés, et même très souvent répétés. Pour couronner le tout, la société catalogue certains de ces enfants comme des « inadaptés ». C’est une erreur. »……. » Il est important de repérer l’environnement pas suffisamment bon aussi rapidement que possible, afin que l’enfant ne perde pas son temps à faire une psychothérapie alors qu’il aurait besoin d’un autre type de prise en charge spécialisée. »

Je souligne cette proposition que je ne connaissais pas il y a 25 ans quand nous avons pris cette initiative de mettre en place ce Centre des Buttes Chaumont, centre privé pour réaliser ces thérapies spécialisées, un travail de recherche avec des magistrats et des avocats, et les formations des travailleurs sociaux et des psychologues concernés par les maltraitances. Le lecteur de 2009 remarquera au passage comment ce qui est désigné aujourd’hui par des connotations judiciaires d’atteintes, d’agressions sexuelles ou de viol, est désigné par ce grand clinicien Anglais avec une élégance toute British. En effet ce « Not-good-enough », ce pas-suffisamment-bon, qui peut évoquer des attitudes parentales désadaptées, malvenues et incohérentes, reste parfois très en ça de la réalité en cause. Par exemple dès qu’il s’agit d’enfant secoué avec risque d’hématome sous-dural, ou d’un syndrome de Münchhausen par procuration, pouvant entraîner un infanticide, ou encore d’enfant abandonné, ou terrorisé dans des conditions de déshumanisation massive. C’est encore peu de parler de séduction traumatique face à des initiations sexuelles précocissimes avec plus ou moins de violence, des contraintes, des menaces de mort conditionnelles(« si tu parles je te tue »), des actes perpétrés par surprise, ou contrainte, des viols vaginaux, oraux ou anaux, des actes de torture ou de barbarie, ou d’atteinte à la dignité humaine, des manipulations sexuelles en réunion, etc... Plus subtilement il peut s’agir d’attitude parentale faite d’intrusion dans l’univers intime de l’enfant par des formes d’emprise incestuelle, (du fait de cette perversion narcissique suivant le terme de Racamier [17], avec voyeurisme et visionnage de films pornographiques. Depuis quelques années des films pris sur le vif pendant des scènes de sexualité pédophilique ou incestueuse peuvent permettre à l’adulte pervers internaute de rentrer sur les réseaux pédo-criminels…Nous sommes en face d’attitudes parentales qui seront qualifiées par la justice pénale de « corruption de mineurs », ou encore d’« exploitation à caractère pornographique de l’image d’un mineur ». Cet enfant est un perverti polymorphe.
Dès que l’enfant est protégé de cette ambiance délétère, pour la première fois, il va prendre goût à la vie, il va grandir, retrouver ses potentialités et rapidement ses symptômes compulsifs masturbatoires ou de mineur agresseur vont cesser. Il faut faire vite.

 
   

TROIS CADRES COMPLÉMENTAIRES
Les thérapies spécialisées que nous proposons mises à l’épreuve de ces familles particulièrement maltraitantes sont donc des thérapies familiales systémique qui impliquent dans tous les cas les enfants et leurs parents protecteurs. Dans d’autres séances sont présents les parents d’accueil quand les enfants sont placés en dehors de leur famille légale. Dans tous les cas sont fondamentaux les personnels soignants qui les accompagnent quand ils sont en foyer, les psychologues, les éducateurs concernés et des représentants de ASE. Cela fait beaucoup de monde non habitués à la thérapie, mais ils sont tous protecteurs de l’enfant et c’est ça qui compte.
Nous sommes toujours deux thérapeutes pour orchestrer cette prise en charge à la fréquence d’une séance par mois. Le parent maltraitant ne peut pas être associé à cette psychothérapie familiale de réseau pour la raison évidente de sa dangerosité et de son emprise.
Contrairement à une idée fausse la psychothérapie familiale ne veut pas dire que toute la famille doive être présente ! Ce serait ici un contresens particulièrement dangereux et irresponsable que de se substituer à l’instance judiciaire en mettant en scène de telles confrontations entre abusé et abuseur. Plusieurs pédiatres ont cru bien faire en jouant de leur autorité face à l’abuseur… Échec cuisant.
Cependant, comme Winnicott le remarque avec sagacité, il convient d’agir au plus vite « afin que l’enfant ne perde pas son temps à faire une psychothérapie… » [13]. Phrase à méditer.

 
   

Ces trois cadres s’articulent entre eux.

  • Un cadre théorique indispensable : l’hypothèse d’un traumatisme précoce subi, une « commotion psychique », comme l’écrit Ferenczi, sinon la notion d’identification à l’agresseur ne veut rien dire.
  • Un cadre institutionnel cohérent: Droits de l’enfant, Intérêt supérieur de l’enfant soutenu par un avocat pour cet enfant quand il se trouve en conflit avec un parent ou plusieurs. Constitution de partie civile par un parent protecteur dans le procès pénal du parent présumé abuseur. Tout ceci en corrélation avec la Charte Internationale des Droits de l’enfant signée par la France le 20 Novembre 1989.
  • Le cadre interactif de la psychothérapie de réseau mis en place au plus tôt pour accompagner cet enfant en danger jusqu’à l’issue du procès, avec la participation des intervenants sociaux au cœur de la thérapie, et de toute personne utile à tel moment de cette prise en charge.
 
   

Quand c’est réalisable, pour mener à bien cette psychothérapie spécialisée il faut simplement une pièce spacieuse avec des jouets, un tableau type paper board pour l’élaboration du génogramme en séance avec l’aide des enfants, pour aussi leurs des dessins spontanés, la destruction symbolique spontanée du personnage de l’abuseur par un « crabouillage » souvent très expressif, et toutes les inventions fantasmatiques spécifiques, si pertinentes. Par exemple un « grand-père beurk », désigné ainsi après des fellations imposées à sa petite fille de quatre ans. Elle le dessine comme un horrible bonhomme. Ensuite elle s’applique à dessiner le bébé fantasmatique qu’elle en aurait conçu psychiquement du fait de sa théorie sexuelle de son âge, et le baptise devant nous « le bébé-Beurk ». Quand ces enfants commencent à prendre confiance dans les adultes et dans le système judiciaire qui est mis en place ils élaborent des constructions du monde car leur paysage intérieur s’améliore : ce sont des organisations abstraites en forme de grille où sont inscrits des chiffres des lettres ou des symboles en des séries régulières. C’est un indice de leur évolution favorable, ils sortent du chaos. (voir La Violence Impensable quand aux évolutions opposées de deux fillettes [18], l’une ayant bénéficié du traitement, l’autre pas.

Dans cette même pièce se trouve une caméra, non allumée le plus souvent, qui permet de prendre des images du début des thérapies pour les restituer à l’enfant plus tard à son grand étonnement. Il saisit alors, tellement c’est visible, dans quel état de délabrement physique et moral il était. Cela permet aussi dans les cas d’une fratrie très nombreuse qu’ils prennent plaisir à se filmer les uns les autres, quand le travail avec nous prend fin, dans une appropriation du cadre que nous leur avons proposé pendant plusieurs années en prévision de leur avenir. Leur vie d’adolescent maintenant pubère avec une vie amoureuse est enfin imaginable. Ils ont même des projets d’avoir des enfants eux-mêmes, à l’inverse de tous ces anciens enfants maltraités et jamais soignés. Surprise supplémentaire grâce à l’enquête en cours menée sur le devenir de ces enfants suivis par nous depuis le début de notre Centre: leur projet professionnel est centré sur les professions en relation avec le monde psy , la police, les actions humanitaires et la justice !
Voilà rapidement ce cadre mis en perspective, sans développer les aspects judiciaires comme la désignation d’un administrateur ad-hoc, pour qu’il y ait rapidement un avocat pour cet enfant. (Voir la nouvelle Loi d’Avril 2009, déposée par Mme Fort, députée de l’Yonne.)
Nous n’abordons pas non plus « la pédophilie au féminin, de la complicité inconsciente au passage à l’acte sexuel », thème d’un colloque à Paris en Juin 2008, et à Lille en juin 2009, , organisé par la Fondation pour l’enfance en collaboration avec nous. [19]

 
   

DEUX EXEMPLES.
JULES, le robot. Nous sommes après le procès de son grand-père paternel, auteur d’abus homosexuels sur Jules mais auteur aussi de violences physiques qui l’ont conduit en correctionnelle. Sa condamnation ne prend en compte que les coups sur l’enfant et ne caractérise pas les abus sexuels ! Ce sont des aléas judiciaires curieux mais fréquents. La sanction est légère au regard de la brutalité et de la perversité connue de cet homme (incarcération de quelques mois). Jules va avoir 11 ans, il est placé en foyer depuis le départ de sa mère, authentique abandon de son fils, mais il revient aux vacances dans la maison de son père. Jules depuis peu se singularise par des comportements d’agresseur sexuel, de tentatives de noyade de ses copains et d’étouffement de son demi-frère quasi meurtrière ! Personne ne comprend cette rechute de sa souffrance et ses symptômes si perturbants . Il fait peur à tous ses éducateurs. Si on lui demande pourquoi il agit ainsi, il répond « Je ne sais pas ». Dès le début de la thérapie nous comprenons que le grand-père incarcéré vient de sortir de prison et qu’il habite proche de chez son fils, là où Jules vient en week-end. C’est ainsi quand disant qu’il ne sait pas ce qu’il fait il s’identifie à l’attitude de son grand père qui a toujours dit que la justice s’était trompée en le condamnant !… Quand Jules attaque les garçons ou glisse sa main sous les jupes des femmes du service, c’est encore comme si c’était son grand-père en lui qui agissait. Quand il ne sait pas pourquoi il fait ça, il joue sans le savoir le même rôle que son grand-père quand celui-ci nie l’évidence de sa culpabilité…Nous lui avons interprété ce mécanisme inconscient. En même temps, prenant confiance en son éducateur présent aux séances Jules arrive en quelques mois à se laisser aller et apprend à nager, sa peur de l’attaque homosexuelle s’estompe. Il récupère vite son niveau scolaire, ainsi sa fragmentation psychique perd de son intensité. Une intériorisation du lien à une figure portante paternelle et maternelle a pu se mettre en place du fait de cet éducateur remarquable.
A la dernière séance les éducateurs oublient de nous dire qu’il n’attaque plus personne. Les détails de cette prise en charge réussie et des dessins de personnages robots que Jules a pu faire en séance sont dans « Quand la famille marche sur la tête » [11] et nous a permis une élaboration théorique qui différencie, sous forme de deux schémas, les familles où l’éthique contextuelle est bafouée et celles où cette éthique contextuelle est respectée. Ces schémas par conjonction entre des concepts psychanalytiques (identification inconsciente à l’agresseur) et systémiques (double-lien), intégrant les menaces de mort et l’interdit de l’inceste, ont été désignés : systèmanalytiques

 
   

JULIE et sa Licorne.
Nous sommes après l’incarcération préventive des deux parents, avant le procès.
Cette fillette de 10 ans nous est adressée par le foyer départemental où elle réside depuis peu. Nous la recevons à deux thérapeutes avec son jeune frère de huit ans en présence des référents sociaux qui les connaissent et vivent avec eux.. Tous deux ont été victimes de maltraitances multiples et graves constituées par des négligences alimentaires et d’hygiène de base perpétrées par des parents en grand désarroi psychoaffectif. Les maltraitances physiques psychiques et incestueuses ont pris une telle ampleur que ces deux enfants portent tous deux sur leur visage des stigmates de désespoir sans limites. Ils sont chétifs inhibés et inquiets de tout. Leurs yeux enfoncés, cernés et vides, les traits tirés, le teint gris, leur pâle sourire ayant beaucoup de mal à ne pas s’estomper très vite. Comment pourraient-ils croire à la sollicitude des adultes ? Comment Cosette pourrait-elle changer le monde qui l’entoure? Peut-elle y croire ? Pourtant c’est ce qui se passe depuis la mise en examen de leurs parents, le placement d’urgence dont bénéficient ces deux enfants et les attentions bienveillantes à chaque instant de la part des éducateurs spécialisés qui les entourent. Très vite au foyer leurs symptômes ont donné l’alarme: Leur alimentation est très difficile et leur amaigrissement à surveiller par une rééducation progressive. Julie se distingue par des attaques sexualisées à l’encontre de son frère et d’autres enfants du foyer. Sa phase de latence est invisible tant les perversions en tout genre explosent. Elle en manifeste une trace signifiante en séance qui a permis qu’un certain levier thérapeutique puisse s’installer: En effet elle ne quitte pas sa peluche, une énorme licorne rose dont elle suce ostensiblement la corne géante sans arrêt. Ce n’est pas un objet transitionnel seulement. C’est sa sexualité orale qui se dévoile en séance, véritable exhibition inconsciente et mime comportemental de fellations subies, dont elle reproduit activement l’empreinte inconsciente. Après de tels actes sexuels imposés à une enfant si jeune ses pulsions orales désintriquées se donnent libre cours tant qu’un déconfusionnement n’a pas remis les responsabilités en place.
Mais tout cela ne peut se traiter qu’au pénal par une procédure criminelle, car la fellation imposée est une pénétration du corps de l’enfant, donc un viol donc un crime.
La définition du viol commence par ces mots dont le premier est crucial: « Tout acte de pénétration…etc. »
Leurs deux parents sont mis en examen et inculpés des chefs de « viols et tentatives de viols sur mineurs de quinze ans, d’agressions sexuelles et de corruption de mineurs par ascendant légitime», A noter en effet qu’il convient d’articuler nos logiques psy. avec les logiques judiciaires et de constater que le mot d’inceste n’existe pas encore dans le code Pénal, (depuis avril 2009 la loi est passée) que la majorité sexuelle en France n’est pas la majorité légale mais à quinze ans et que si le mot agression est utilisé par le juge d’instruction c’est une désignation qui implique des violences physiques contrairement aux « atteintes sexuelles » qui elles se rapportent aux attouchements sans violence. La corruption par ascendant désignant d’autres conduites incestueuses des parents, comme le visionnage de chaînes pornographiques.
Le traitement psychothérapique entrepris sur ces deux enfants va se poursuivre pendant toute la durée de la procédure jusqu’au procès qui sera le grand moment de leur vie. Mais déjà la spirale de désintrication pulsionnelle se calme, les attaques sexualisées s’estompent . La Licorne est restée « en traitement » au Centre sur notre insistance. Julie demande à la voir quand elle revient en séance. Elle la prend sur son cœur, toute triste à nouveau, car c’est tout le passé de sadisme subi qui fait surface instantanément. Mais Julie nous confie spontanément cette fois, sa licorne, objet fétiche qui devient progressivement transitionnel pour elle, lui permettant une distance entre son passé dont on la soigne, et sa vie d’aujourd’hui en séance et au foyer, pour un avenir indécis, mais non dénué d’espoir.

 
   

Parfois la thérapie de réseau n’est pas possible et l’on constate des agressions sexuelles incestueuses, dont la prise en charge judiciaire a échoué. Certaines situations sont irrécupérables tant la perversion sexuelle du parent pathogène et sa position de quérulent processif rend tout avenir sans issue, véritable effort pour rendre l’enfant fou. Ailleurs on constate chez un enfant abusé des rêves à répétition pendant bientôt dix ans, reproduction à l’identique des moments de peur panique liés à la tentative de meurtre et violences sexuelles, de la part de son père, à raison de plusieurs cauchemars par semaine pendant plusieurs années.( fonction traumatolytique du rêve décrite par Ferenczi). La thérapie individuelle de ce garçon pour ses blocages multiples et inhibition scolaire a permis une détente grâce à l’écriture systématique de cette vie onirique si précieuse pour son équilibre, mais ce père extrêmement dangereux et insaisissable, laisse toujours cet adolescent dans une crainte de le rencontrer à chaque instant. Il ne donne plus un seul signe de vie dans une ultime attitude de torture supplémentaire, son silence.
Comme Racamier l’a écrit, « que ce soit par l’emprise et l’effraction, par la prédation, l’intimidation et la diffamation, le pervers narcissique vise toujours à disqualifier le Moi de l’autre, dans l’espoir de soulager et valoriser le sien…La perversion narcissique constitue sans doute le plus grand danger qui soit dans les familles les groupes les institutions et les sociétés. Rompre les liens c’est attaquer l’amour objectal et c’est attaquer l’intelligence même : la peste, n’a pas fait pis. » [16]

 
   

En conclusion de ce survol théorico-clinique qu’il me soit permis de répondre à la question posée dès l’introduction de mon propos : OUI ces troubles alarmants chez ces enfants pré pubère sont le plus souvent des névroses post-traumatiques. Qu’il existe un potentiel de décompensation psychotique et psychopathique après de tels traumatismes précoces c’est manifeste dans un certain nombre de cas. Un diagnostic différentiel de prépsychose ne pourra s’établir que sur l’évolution du cas après hospitalisation et au décours d’une thérapie individuelle mise en place.
Pendant des années le diagnostic porté sur ces pathologies de la petite enfance et de la préadolescence l’ont plutôt été sur le mode de l’évitement. Les maltraitances incestueuses n’étaient pas reconnues à leur place du fait d’une vision bien peu psychanalytique qui pensait pouvoir éviter les traumas ! C’était une illusion.
Nous avons donné à voir par un regard différent sur les textes les plus classiques de notre discipline, à la disposition de chacun, et par les évocations cliniques correspondantes, comment ce type de prise en charge spécialisée que nous proposons, ni psychothérapie individuelle, ni thérapie familiale standard, permettait une juste évaluation du danger encouru et un déconfusionnement dont ce système familial était prisonnier.
Le signal d’alarme primordial de cette maltraitance se trouve être l’interruption subite et troublante de la phase de latence d’un enfant, par ces trois grands champs symptomatiques que sont les régressions, les blocages multiples et la sexualisation de son univers relationnel. Ce sont les parents protecteurs, les instituteurs et les services sociaux qui sont les premiers à donner l’alarme par appel au système psycho-médico-social et en rédigeant un signalement aux Autorités. Les notions pseudo diagnostiques si utilisées autrefois de « carence éducative » ou de « cas sociaux » sont à revoir comme notoirement insuffisantes. En effet cette non assistance à enfant en péril peut très bien confiner à la complicité, au sens judiciaire, des parents négligents, mais aussi des médecins ou des para médicaux. Il n’y a pas de responsabilité collective dans le Droit Français; qu’on se le dise.
L’enjeu de ce nouveau cadre de traitement proposé par notre Centre consiste en une prise de position citoyenne face à la gravité des sévices subis par l’enfant dans son milieu de vie. Encore faut il faire l’hypothèse de cette commotion psychique sans trop attendre, et ensuite travailler en articulation avec les deux axes judiciaires complémentaires que sont le civil et le pénal, car cet enfant, tout mineur qu’il soit, n’est pas sans avoir des Droits. Tout cet aspect du problème est détaillé dans notre dernier ouvrage cité « Quand la famille marche sur la tête »  
Quand la thérapie familiale de réseau est possible nous obtenons très vite des résultats manifestes. L’enfant protégé peut se reconstruire. Il reprend sa croissance physique, se met à travailler à l’école et peut envisager un avenir qui n’est plus soumis à la terreur ni au chantage. (Jules, Julie). Sa parole reconnue est portée par un avocat d’enfant et si procès il y a ce sera d’une efficacité remarquable quant à l’avenir de ses investissements. Il peut supporter sa puberté sans trop de décalage avec les enfants de son âge. Sa vie amoureuse s’amorce. Son regard sur sa famille est enfin rééquilibré car les responsables ont été désignés par la Justice. Il ne porte plus à son insu la culpabilité massive et la honte comme pendant les années précédentes. La fonction symbolique du dénouement judiciaire n’est plus à démontrer. Le processus de résilience a pu dans les bons cas sauver cet enfant des redoutables identifications inconscientes qui sinon l’attendaient. Le cycle des répétitions d’une génération à l’autre pourra s’interrompre. C’était le but.

 
   

RÉFERENCES
[1] Freud S. « Petit abrégé de psychanalyse ». 1923. in Résultats; idées ; problèmes T. II Puf, Paris, 1985. p.97
[2] Freud S. « Trois essais sur la théorie de la sexualité ». Paris ; Gallimard, col Idées, trad.B.Reverchon-Jouve, 1962.p150.
[3] Freud S. « Trois essais sur la théorie sexuelle ». Paris Folio Essais, nov. 2008 traduction Philippe Koeppel. p184. La comparaison avec la traduction classique est édifiante. Référence aux G.W. de Freud, FISCHER VERLAG, Tome V, p.156.
[4] Ferenczi S. « L’enfant mal accueilli et sa pulsion de mort ». Paris. Payot, Psychanalyse IV, 1982. p.76
[5] Ferenczi S. « Confusion des langues entre les adultes et l’enfant », langage de la tendresse langage de la passion. Paris. Payot. Psychanalyse IV, trad. Groupe du Coq Héron, 1982, p131. Ce texte primordial est publié dans ce numéro spécial. Disponible aussi dans la petite Bibliothèque Payot.
[6] Gruyer. F, Nisse. M, Sabourin. P ; « La Violence Impensable », inceste et maltraitance. Paris, Nathan, 1er édit. 1991. 2 ème édit.2004.
[7] Ferenczi. S. « Journal Clinique », Paris Payot, Trad. Groupe du Coq Héron, 1985 par exemple p.137. Voir aussi ma post-face.
[8] Sabourin P. www.http://pierresabourin.free.fr . « Ferenczi, paladin et grand vizir secret ». Edit.Universitaires, Paris, 1985. Plusieurs articles dans la revue Coq héron, conférences au Quatrième Groupe et la préface du tome IV des Œuvres complètes de Ferenczi traitent de ces problèmes depuis 1971.
[9] « Un enfant est battu », in Névrose, psychose et perversion. Paris, PUF, 1973, p 223
[10] Freud-Ferenczi, correspondance, Tome III, trad. Groupe du Coq Héron, Paris, Calmann-Lévy, lettre du 16. Sept. 1930, p. 450. C’est moi qui souligne cette proposition essentielle.
[11] Devereux G. in « Essais d’ethnopsychiatrie générale », Paris, Gallimard, 1973, p185. « La délinquance sexuelle des jeunes filles dans une société puritaine ».( conférence 1964)
[12] Nisse M. et Sabourin P « Quand la famille marche sur la tête » Le Seuil, couleur psy, Paris 2004.
[13] Winnicott. D W in « L’enfant la psyché et le corps ». Paris, Payot 1999, p. 351, 352. Trad. Michelin et Rosaz. Conférence à Newcastle en 1970, intitulée en français: « La pédopsychiatrie, le travail social et les autres formes de prise en charge ».
[14] American Psychiatric Association, « Mini DSM IV ». Critères Diagnostiques [Washington DC 1994) Trad. fr JD Guelfi et al, Masson, Paris 1996. PTSD,( Troubles du Syndrome Post Traumatique et Troubles dissociatifs de l’identité).
[15] Freud S, « Naissance de la psychanalyse », Paris PUF, trad. Anne Berman, 1956, p.113.
[16] Freud Sigmund Lettres à Wilhelm Fliess. Edition complète établie par J.F. Masson. Trad.F.Kahn et F. Robert, Paris .PUF 2006.p.185, lettre du 15.10.1895.
[17] P.C.Racamier, « Autour de l’inceste ». Éditions du collège de psychanalyse groupale et familiale, Paris, 1999. Voir aussi « L’inceste et l’incestuel ». Éditions du collège, 1995.
[18] Voir des évolutions opposées chez deux fillettes suivies par nous et dont nous présentons les dessins dans La violence impensable(6)
[19] Collection Fondation pour l’enfance, colloque, « La pédophilie au féminin : de la complicité inconsciente au passage à l’acte sexuel », avec la participation, en plus de notre équipe, de Myriam Kemener Substitut Général à la Cour d’Appel de Versailles, du Dr Zagury expert près la Cour d’appel de Paris, de Maitre Pascal Fournier Avocat au Barreau de Versailles, de Dominique Fremy Pédopsychiatre hospithalière et expert près la Cour d’appel de Besançon, et les expériences Anglaise et Américaines de nos amis Arnold Bentovim, et Katheleen Colebank.