Dr Pierre Sabourin  
  Article  
     
     
     
     
     
  2011  
     
       
Accueil
 

NOTE de LECTURE (2005)

                        Le moine et la psychanalyste, de Marie Balmary, Albin Michel, 2005.

Tout le monde psy. connaît « l’homme aux statues », surtout depuis sa sortie en livre de poche, (1979, 94) et le travail de lectrice acharnée de son auteur en quête des incohérences et des moments inouïs des textes eux-mêmes, sous titré « Freud et la faute cachée du père ».

Avec cette thèse devenue livre de référence pour tous ceux qui s’intéressent à « l’histoire de notre science», cette psychanalyste originale par sa curiosité peu commune, a su dégager dans l’histoire de cet homme et de sa famille des traces signifiantes encore plus compliquées que le discours officiel ou le sien propre, ne voudraient le faire croire.

Il y est question des fautes non reconnues d’une génération à l’autre, des prénoms des uns en référence à leurs modèles Bibliques, de science sans conscience, de la fameuse Bible bilingue Hébreu/Allemand brisée par Jakob, le père de Sigmund, qui en modifia l’ordre des chapitres avant de l’offrir à son fils; Comment ? Pourquoi ? Et Rebecca la femme cachée du père, et le tombeau du Pape Julius avec la statue de Moïse, (dont les cinq lettres MOSHE composent les initiales des prénoms des six enfants de Freud, sans qu’il en ait parlé), et l’auto-analyse que commencerait Freud au moment de s’occuper de la pierre tombale de son père, et Mina, et Signorelli…Le fond de l’affaire est encore et toujours, pendant l’ été 1897, ce renversement d’éclairage par rapport à la théorie des influences des séductions précoces sur l’enfant, la névrose de transfert de Sigmund sur son ami Wilhelm, et le transfert de la faute sur lui. Tout ceci s’est étayé par des précisions venues du travail de J.M. Masson, et son « réel escamoté », par Roazen, par Marianne Krühl, et beaucoup de recherches sur les caviardages négationnistes de ses lettres à Fliess par les descendants de Freud, comme sur les contresens de lecture dans ses textes mêmes.

Avec « Le moine…», en 2005, et ces rencontres tout à fait spécifiques mises en place entre cet homme de prière et cette femme de psychanalyse, suivant aussi leurs échanges épistoliers, le lecteur est entraîné par une écriture de la qualité d’un grand roman classique, avec la finesse d’introspection et d’attention aux mouvements de l’inconscient chez l’un comme chez l’autre. Et ce n’est pas seulement comme dans la mythologie athée de Sade dans son « Dialogue entre un prêtre et un moribond », mais deux présences mutuelles sous tendues de respect réciproque, d’expérience et de questionnement sur les croyances et « les portes invisibles par lesquelles» ces deux protagonistes sont passés. (Chez Sade le dernier mot revient au moribond: « < i>Rendre les autres aussi heureux que l‘on désire de l’être soi même… » Puis à la fin «  Les femmes entrèrent ; et le prédicant devint dans leurs bras un homme corrompu par la nature, pour n’avoir pas su expliquer ce que c’était que la nature corrompue).

Le moine et la psychanalyste, Simon et Ruth, sont tous deux des chercheurs sur textes, des fouineurs de traductions et d’allégories, découvreurs dans une lettre du désir chez Rimbaud en train de mourir près de sa sœur Isabelle, ou d’une petite musique de Mozart qui s’insinue inconsciemment chez elle à la place d’une phrase introuvable, musique de la femme ou musique du diable, ou les deux, enfin un vrai bonheur pour la lecture, tant leurs visages sont expressifs derrière des retenues et des fulgurances de mots. Montaigne au chevet de La Boëtie; On pourrait en faire un film.

Il y est question de cette relation en train de se nouer entre eux deux, Ruth-France et Simon, les deux anciens étudiants en médecine ayant pour des raisons parallèles renoncé à cette voie professionnelle. Voilà qu’ils se retrouvent, trente ans plus tard, pour un temps compté, dans une théâtralité classique, de l’unité du temps de leurs réflexions, du lieu unique de cette terrasse sur les Alpes, et de la méditation comme médiation à haute voix.

Simon serait rentré chez les Bénédictins en raison de la mort de sa femme dans un accident de voiture. Ruth-France aurait fui la médecine à l’occasion d’un premier stage dans un service de chirurgie et de sa dépression créatrice, un effondrement, dit-elle aussi.

Cet énigmatique Simon n’est pas n’importe qui .L’auteur nous annonce dans son avant-propos que ce moine Simon, mis en scène ici, n’est autre que le frère de Jaques Lacan. Ce Bénédictin,  Marc François, qu’elle a bien connu, avec qui elle a eu de nombreuses conversations quand ils étaient étudiants et plus tard, comme elle se met en scène avec lui, pour ce livre. Pour cette écriture Marie Balmary a choisi de s’inscrire comme RUTH, une femme divorcée, juive agnostique, ce qui expliquerait peut être qu’elle connaisse aussi bien l’hébreu, les traductions de Chouraqui, la saga freudienne et tout ce qui s’en suit. Mais là-dessus elle laisse la fiction fonctionner, sans en dire d’avantage, pour le plaisir de son écriture et la rêverie du lecteur.

Il s’agit donc des opinions respectives d’un théologien déjà touché par la psychanalyse sur un plan personnel et pas seulement par la connaissance des oeuvres de son frère, mais aussi de la relation entre homme et femme comme sens profond, comme place, dans ces moments ultimes de la dépression ou de la maladie de la mort, comme disait Margueritte Duras.

« L’image de Dieu dans la Genèse, c’est l’homme et la femme en relation. Non pas l’homme. »

Comme une grave maladie de coeur chez la psychanalyste en question expliquerait sa convalescence actuelle, une réflexion sur les nuances entre guérir et sauver va s’installer entre ces deux penseurs–chercheurs, relation d’une mutualité d’exception, ni amitié, ni sexualité, ni amour de transfert, ni tentative de convertir l’autre ou de l’analyser, un peu tout cela aussi…. C’est un chemin d’amitié respectif protégé par un cadre d’exception, transitoire et occasionnel proposé par un couple de leurs amis, (Noëmie et Dan), intercesseurs de cette rencontre improbable pour l’un comme pour l’autre. Pour que leurs échanges fonctionnent ils se donnent rendez-vous, ni séance ni confession, à peine une tasse de thé…sur leur terrasse devant la vue sublime des hauteurs enneigées.

Il y est question du « vrai-nous » et des « faux dieux », du « Gott mit uns », et du «Heil Jésus ! »

« A vrai dire je suis embarrassée. Le verbe sauver passe encore; nous avons joué avec l’autre jour ; on l’emploie couramment, même si c’est dans un sens affadi et restreint. Mais le mot « salut », qu’en faire ? Il parait à la fois désuet et dangereux. Ça été si important durant des siècles chez les chrétiens et ceux qui ont vécu sous leur domination. Faire son salut…Le nom de jésus lui-même ne vient-il pas du verbe « sauver » ?

Si Yeshua : « Dieu sauve », Dieu, ou plus exactement en hébreu, comme vous savez, le nom divin en quatre lettres, YHWH sauve, répondit Simon ».

Pour apprécier, il vaut mieux ne pas avoir peur de toucher aux idoles de la culture, pour mieux saisir des notions comme celles de père Noël et de Père Néant, du « sacrifice interdit », (un autre de ses livres, paru en 86), par exemple entre père et fils, notion si riche dans notre clinique d’aujourd’hui, quand on s’occupe par exemple des maltraitances précoces intra-familiales, quand séduction veut dire détournement.

Le moine comme la psychanalyste, chacun à sa façon, développent ces notions fondatrices entre Abraham et Isaac, face à la soumission à l’ordre comme au contre-ordre, soumission à l’injonction divine comme à l’injonction de sa femme. Mais voilà qu’à regard er les textes de près on s’aperçoit que la voix surnaturelle n’est pas de la même provenance. Ce serait d’abord le tétragramme, l’ineffable,  l’imprononçable, qui demande impérativement au père « Prends ton fils …et fais le monter en montée (ou élève le en élévation). Abraham comme la plupart des traducteurs entend d’abord ceci : « Prends ton fils…et offre le en sacrifice, ou: en holocauste» ….Il s’agirait donc de sacrifier Isaac comme un agneau et de l’égorger pour le  brûler et que les fumées de ce sacrifice humain montent et s’élèvent jusqu’au Très Haut !  Et puis voilà qu’un autre dieu s’impose ! Cette deuxième voix est-elle seulement messagère du premier, voix contraire, ou bien un nouveau dieu intériorisé qui arrête le bras infanticide et son couteau ! : Ne fais aucun mal à l’adolescent ! »Cette lecture change tout en effet.

« Sous ce deuxième nom, HYWH, un deuxième dieu arrive qui n’est ni meurtrier ni incestueux, tandis que partout dans l’Antiquité, les dieux ont commerce de sexe et de mort avec les hommes. Cela Abraham n’a aucun moyen de le savoir, venant lui-même d’un clan au bord de l’inceste (la femme d’Abraham est sa demi-sœur, son frère épouse une nièce..) sinon l’écoute de son propre cœur… »

Et plus loin…  «  Une fois qu’on considère l’Ogre comme la figure de tout ce qui dévore l’être vivant et parlant, le champ d’application d’un tel texte est immense… ».. «  Ceux qui croient en l’Ogre, croient également qu’il a voulu la mort de son fils… »

A lire, en urgence, l’avant-propos que Marie Balmary distille pour le lecteur, quand elle évoque sa propre rencontre historique avec les deux LACAN : Jacques pour sa thèse et les trouvailles qui étaient les siennes, Marc comme un chercheur en rencontre un autre. L’opposition entre leurs attitudes respectives est un grand moment pour les psychanalystes de cette génération, surtout s’ils ont eu l’occasion de croiser le même type de proposition, où dit-elle  «  Là où il m’avait permis de m’inscrire, il n’y avait de place pour moi que s’il avait pris en moi la place de ma propre pensée ».

Une question à l’éditeur et au maquettiste du livre, à propos de la première majuscule du titre qui est imprimée en rouge, alors que tout le titre est noir sur fond blanc…La lettre par excellence, un signifiant-Maitre, serait–il venu ici se manifester ?

En guise de ponctuation, trois formules de Jaques Lacan datant de 74, à Rome, à l’occasion d’une Conférence de presse, devant des journalistes Italiens, à lire dans « Le triomphe de la religion »( Seuil 2005)

        « …L’analyste en reste là. Il est là comme un symptôme. Mais vous verrez qu’on guérira l’humanité de la psychanalyse. A force de le noyer dans le sens, le sens religieux bien entendu, on arrivera à refouler ce symptôme. »

        « .. . La foi c’est la foire. Il y a tellement de fois, de fois qui se nichent dans les coins, que malgré tout, ça ne se dit bien que sur le forum, c'est-à-dire la foire. »….

        «  …La religion est faite pour ça, pour guérir les hommes, c'est-à-dire pour qu’ils ne s’aperçoivent pas de ce qui ne va pas…. »

 
CV
   
Bibliographie    
Nouveau    
Contact    
     
     
     

Droit et soins
contre les
violences

   
     

Centre des
Buttes-
Chaumont

   

 

   

Quatrième
Groupe