Dr Pierre Sabourin  
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SI TU PARLES JE TE TUE, (Article publié dans Le Monde, 12 juin 2004)

La médiatisation intensive du procès d'Assises de St Omer mérite un instant de réflexion pour poser les questions qui s'imposent à tous les professionnels de la protection de l'enfance. Madame Brisset de sa place officielle de Défenseure de l'enfant écrivait le 30 Mai:" Pitié pour les enfants d'Outreau"

Avant les décisions judiciaires il est important de comprendre ce qui se passe dans ces familles là tout aussi maltraitantes que celles d’Outreau, où l'inceste domine depuis plusieurs générations, quand elles sont prises en charge dans notre Centre. Quand l'inceste est passé à l'acte entre un adulte et un enfant, ce n'est pas une affaire d'amour, c'est toujours une réalité explosive, c'est le système maltraitant qui fait la loi, c'est la dictature intrafamiliale quelque soit le milieux socioculturel…

Cela devient tragique pour l'enfant qui est victime de cet abus de pouvoir, et cela est insidieux pour le système de Protection de l'enfance à efficacité variable: éducateurs et services sociaux de l'Aide Sociale à l'Enfance, policiers de la Brigade des Mineurs, psys, médecins, experts, juges, administrateurs ad hoc et avocats.

Quand l'inceste est passé à l'acte il fait éclater les cadres élémentaires de la vie psychique de l'enfant prépubère. Cet enfant devient dissocié d'avec lui même, fragmenté, atomisé quant à son identité, sa mémoire et ses capacités d'attention sont atteintes. Le plus souvent il change brutalement de caractère, devient violent, agité, menteur, violeur parfois lui aussi, reproduisant sur des plus jeunes ce qu'il a lui même subi, parfois mutique pour se protéger ou encore gravement dépressif. Quand la loyauté à son abuseur domine, il s'identifie à celui qui a fixé en lui la pulsion sexuelle assortie de menaces de mort, son agresseur. C'est ça la réalité de l'inceste quand il concerne un mineur: "Si tu parles je te tue!"..;Thanathos jouisseur, pulsions de mort et pulsions d'emprise intriquées...On conçoit que les systèmes habituels de protection de l'enfance soient dépassés.

Ces perversions tous azimuths que cet enfant va incarner à son tour, demandent quelques précautions pour que sa souffrance s'arrête et qu’il soit enfin respecté dans sa personne et dans son DROIT.

Trois pièges sont à éviter.

La fétichisation de la parole de l'enfant, véritable fascination qui entraîne des malentendus en cascade. Comme si l'enfant ne savait pas mentir! C'est vraiment le prendre pour un imbécile...Cela relève d'un angélisme, d'un culte du vrai, simpliste et dangereux, pavé de bonnes intentions quant à l'innocence bafouée, mais aussi d'une naïveté qui entraîne certaines Instructions Judiciaires dans des dérives peu croyables, que le premier avocat de la défense venu mettra en pièce. C'est un mauvais service rendu à cette noble cause par certaines Associations quand, la parole sacro-sainte de l'enfant est ainsi montée en épingle au détriment d'un diagnostic correct.

Le soupçon, prôné par certains comme seule position commode pour ne jamais être dupe, constitue lui aussi, à l'inverse de l'attitude précédente, le deuxième piège qui guette les professionnels. En effet s'il était systématisé, cela impliquerait de toujours mettre en doute ce qui est dit, comme si cette parole était elle même le vecteur diabolique par excellence, comme si on parlait trop. A l'inverse le code de déontologie et le code pénal envisagent avec sagesse les présomptions d'atteintes sexuelles ou de maltraitances, ce qui impose au médecin de déroger au secret médical, donc de signaler telle situation au Procureur de la République. Mettre en doute toute parole de révélation faite par un enfant, du fait d'une sensitivité portée à son comble, revient à ne pas agir suivant la déontologie. Les principes de précaution, soit la "prudence et circonspection" ont été prévues pour que le médecin soit le " défenseur de l'enfant ", et non pas pour stigmatiser cet enfant comme un affabulateur, toujours manipulé après un lavage de cerveau      On sait bien que cela existe aussi, en particulier dans des systèmes sectaires, mais ce n'est pas une raison pour en faire son viatique.

Le troisième piège, plus spécifiquement psychanalytique; relève d'un authentique négationnisme, certes suranné, mais qui a toujours la vie dure. Sous prétexte que le désir incestueux de l'enfant a trouvé sa place dans notre mode de pensée comme une donnée universelle, l'existence des actes incestueux délinquants ou criminels d'un adulte sont curieusement relativisés au point de devenir une exception !…C'est une faille de la pensée, un révisionnisme par rapport aux dictatures familiales. L'inceste passé à l'acte est au cœur des systèmes maltraitants, très répandus, et dont cette affaire d'Outreau apparaît comme un révélateur…C'est dire à quel point un vide clinique existe encore dans le milieu psy.. Le système familial, quand il est maltraitant n'est pas encore reconnu dans ses mille et uns moyens de mystification, camouflage, intimidation, falsification et menaces en tous genres. Dès que ce système maltraitant avec des initiations sexuelles précoces et des menaces de mort est installé, c'est tout le système de l'interdit de l'inceste qui est remplacé par ces règles intrinsèques à la famille : l’Omerta. Un professionnel non averti peut n'y voir que du feu.

Donc, pour faire bref, assez avec l'angélisme naïf, le soupçon systématique, et le négationnisme qui ont déjà fait de gros dégâts. L'inceste existe sur des enfants en très bas âge. Faire des expertises de crédibilité de ces enfants n'a pas grande signification pour éclairer la justice sur les faits supposés. Seraient ils fous qu'ils pourraient fort bien dire la vérité de ce qu'ils ont subi. Habituellement ils ne sont pas fous du tout, même s'ils en donnent l'impression par leur désadaptation et leur rage de ne pas avoir été cru, mais ils sont traumatisés pour longtemps si justice ne leur est pas rendue. Pourtant un certain vide juridique est en train de se combler lentement. Les auditions vidéo de l'enfant sont prévues dans les textes de Loi récents, mais appliqués partiellement ou pas du tout. C'est dommage…

Une autre fiction persiste : On ne pourrait pas soigner ces pathologies-là !

C'est encore faux; l'enfant abusé a besoin d'être protégé. La famille en détresse doit être prise en charge pour une évaluation de tous les liens parents-enfants. La parole de l'enfant n'est qu'un élément dans ce contexte, mais c'est le scandale de l'inceste qui empêche de penser. Pour soigner ce système maltraitant il convient de sortir des stéréotypies résumées ici, pour comprendre ce fonctionnement pathologique de ces familles qui marchent sur la tête, quand la toute jeune victime est devenue perverse à son tour, à force d’avoir été pervertie- c’est un enfant en danger-, mais aussi chez ses frères et sœurs- qui sont des enfants à risques. Le parent protecteur est souvent sous emprise,  l’abuseur lui-même, adulte homme ou femme, est souvent une ancienne victime secrète, jamais soignée, parfois suivie sous mandat judiciaire.

L’enfant abusé a un besoin immédiat d’être protégé d’abord. C’est le déséquilibre de cette famille en détresse depuis longtemps qu’il faut impérativement prendre en charge, ce que nous faisons sous forme de thérapie familiale de réseau. Avant de maintenir un lien mère-enfant ou père-enfant, il est urgent d’en évaluer la qualité. Tout cela ne pouvant relever que du médico-psycho-socio-judiciaire.

Ce sont ces évaluations délicates sur ce lien parental que nous cherchons à établir ou à rétablir, avant et après le procès, quand ces enfants en grand désarroi nous sont adressés par l’Aide Sociale à l’Enfance.