Dr Pierre Sabourin  
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PRISE EN CHARGE DE LA VIOLENCE INCESTUEUSE SUR MINEUR (2006)

Congrès de Montréal « Psychanalyse, violence et société », 29 30 Septembre 2006. Colloque réunissant des participants du 4e Groupe, des psychanalystes du Québec, de la Société canadienne de psychanalyse et de la société psychanalytique de Montréal.

Depuis toujours La confusion des langues envahit la relation parent-enfant quand celle-ci est pathologique. L’enfant est en effet à la recherche vitale de tendresse et d’amour et reçoit parfois en échange du passionnel, de la violence sous toutes ses formes, physique, psychique et sexuelle, c’est le langage de la passion, si bien diagnostiqué par Ferenczi.

Cette Confusion des langues entre les adultes et l’enfant est déjà difficile à gérer par toutes les générations de psy, mais voilà qu’il faut repérer en plus, maintenant, ce qu’il en est de la confusion des droits.

Et pourtant Freud lui-même a parlé de ces droits! Peu, il est vrai, comme en passant, en1919, dans son texte « Un enfant est battu », Il écrit textuellement ceci:

« Celui qui néglige l’analyse de l’enfance doit nécessairement succomber aux erreurs les plus lourdes de conséquences. En mettant l’accent sur l’importance des premières expériences vécues on ne sous-estime pas pour autant l’influence des expériences plus tardives; mais les impressions de la vie qui viennent après, parlent assez fort dans l’analyse par la bouche du malade, alors que, c’est au médecin d’élever la voix en faveur du droit de l’enfance. »

Donc nous allons aborder ces moments de haute gravité, quand les incestes sont passés à l’acte entre adultes et mineur de quinze ans, (c’est l’âge de la majorité sexuelle en France depuis 1945).

Cet adulte que nous avons désigné comme «incestueur » est celui qui va perpétrer cette transgression, qu’il soit un parent légal, génétique, adoptif ou bien (sur un mode para-incestueux) qu’il soit une « personne ayant autorité » et qui abuse de cette situation, (un enseignant, un prêtre, un médecin connu de l’enfant, un ami de la famille…etc).

 Ce problème est d’autant plus ardu que l’enfant très jeune n’est pas un sujet de droit, et vit sous l’autorité légale de ses parents. Les problèmes d’inceste entre majeurs sont plus simples, et les problèmes des incestes frères sœurs, frères frères ou sœurs sœurs sont souvent des conséquences de mystifications aux générations précédentes (fausses déclarations d’identité, paternité frauduleuse, liaisons incestuelles ( Racamier), ou franchement incestueuses aux générations précédentes, etc…

Or, que voyons nous aujourd’hui quand ces « familles marchent sur la tête? »(1)

Des maltraitances intra-familales redoutables dans l’immédiat, incestueuses, traces, comme l’écrivait Georges Devereux

« des comportements adultes qui révèlent les tendances destructrices et séductrices inconscientes des parents. » (2)

Ces passages à l’acte de la part de l’adulte sur l’enfant parfois très jeune, constituent une clinique psychiatrique et psychanalytique qui mérite toute notre attention, d’autant plus qu’elle a été sous-estimée, en France pendant longtemps, et c’est l’Amérique du Nord et le Québec en particulier qui nous a ouvert le chemin: Centre de Repentigny, Philippe Pinel, et l’estimation de l’époque d’affabulations de la part d’enfants  quoi est seulement de 2°\°°! Citons aussi le Film de Brigitte Sauriol «  Rien qu’un jeu », en 1983, et en France dix ans plus tard le long métrage auquel le Centre des Buttes Chaumont a participé comme co-scénariste, « L’Ombre du doute » de notre amie Aline Isserman, bientôt accessible en DVD..

En effet, il ne s’agit pas des fantasmes de l’enfant; ni d’un gros complexe d’Œdipe comme je l’ai entendu dire, ni d’une petite fille freudienne, ni de mensonges, mais du désir d’être aimé, du besoin d’être reconnu, accepté à une place légitime, par un enfant pré-pubère, de la peur d’être abandonné, s’il brise la loi du silence, ou battu, s’il révèle le secret sexuel que l’adulte abuseur lui fait porter sous la menace. Cet enfant est envahi de souvenirs récents sans qu’il puisse en parler clairement, et de la crainte obsédante que ça se reproduise demain ou au prochain Week-End. De plus l’enfant a introjecté la culpabilité à la place de l’adulte, devient confus  instable, change de caractère et amorce des phénomènes de régression maligne ...Il fait des rêves à répétition, se protège parfois avec un double imaginaire, etc…

C’est ce vécu traumatique précoce du fait de positions érotiques, délinquantes ou criminelles du parent qui se doit d’être à sa place centrale dans nos questionnements, quand un enfant présente une pathologie régressive, instable, en rupture avec les intégrations les plus simples, phobique, ou en guerre avec son milieu de vie, provoquant, masturbateur compulsif, ou déjà un abuseur sexuel lui-même vis-à-vis d’enfants encore plus jeunes.

Pourquoi cet enfant a-t-il tout d’un coup changé à ce point, sans être psychotique ni autiste?

c’est à nous psychanalyste ou pédo-psychiatre ou psychiatre d’adulte que la question est posée. «  Et c’est au médecin a élever la voix en faveur du droit de l’enfance »

En général en plus du trauma sexuel, il a été menacé de mort s’il ouvre la bouche ! « Si tu parles je te tue », son dictateur familial se conduit comme dans un univers maffieux, alors comment le protéger ?

Il suffit qu’un thérapeute avisé ou qu’un expert désigné par le tribunal veuille bien rechercher ces menaces éventuelles que cet enfant a pu vivre pour les trouver. L’enfant va le dire immédiatement si la question lui est posée. Sinon, mutisme.

Une passivité chez le professionnel qui, pour quelque raison que ce soit, ne voudrait pas trop en savoir, thérapeute de l’enfant ou expert, validerait cette violence intériorisée par l’enfant comme non symbolisable, IMPENSABLE, (3) sans origine historique, sans concordance avec la réalité. L’enfant déjà protégé imaginairement par clivage et l’écrasement de son Moi, va s’enfermer dans ces comportements marginaux, et les troubles de l’identité vont s’installer si personne ne le soutient dans son appel au secours.

Ferenczi, 1932 :« Ce qui est intrapsychique va être soumis, dans un état proche du rêve (comme la transe traumatique) au processus primaire, c'est-à-dire que ce qui est intrapsychique peut, suivant le principe de plaisir, être remodelé et transformé d’une manière hallucinatoire positive ou négative, .Quoiqu’il en soit l’agression cesse d’exister en tant que réalité extérieure ». (4)

En 1930 Freud précisait à Ferenczi dans une version non expurgée de sa correspondance:

«  Les traumas nous devons les déduire. » (5)

Voilà un verbe simple devant ces situations impensables : la déduction clinique par le professionnel. Déduction ne veut pas dire interprétation ou idée fixe, c’est cette logique clinique qui va protéger cet enfant.

On sait de plus que cet enfant victime de son milieu de vie ne peut pas se départir de sa loyauté vis-à-vis de celui qui abuse physiquement ou sexuellement de sa personne, adulte paternel ou maternel. Tout ceci entraîne un compromis précoce de défense: l’identification inconsciente à son agresseur, ou « à l’ennemi le plus fort » soit une forme paradoxale de la répétition: Ayant été agressé très jeune, c’est maintenant lui qui attaque en milieu familial ou à l’école des plus jeunes que lui.

S’il s’agit de pénétration sexuelle, orale anale ou vaginale, il s’agit de viol, hétéro ou homo. Quand ces actes de transgression sexuelle sont des actes moins délabrants comme des atteintes sexuelles, masturbations réciproques, sans violence, ou des attaques sexuelles, homo ou hétéro sexuelles, ces actes seront qualifiés non pas comme des

crimes mais comme des délits.

Dans tous les cas le diagnostic est celui d’un enfant victime.

Le fantasme de cet enfant c’est le fantasme d’être coupable de ce qui lui arrive, ce fantasme va saturer son psychisme pour des années sous toutes formes possibles d’auto-accusation, autodérision, victimisation secondaire, position masochiste et position auto- sacrificielle, avec des idées obsédantes : « Tue–le ou Tue-toi ! ». Ses pulsions de mort sont alors exacerbées, avec tous les clivages qui vont s’installer et la désintrication pulsionnelle correspondante, les moments suicidaires et agressifs comme les réactions à cette douleur et à cette honte. Pas de refoulement possible, clivages du Moi et de l’objet, idéalisation de son abuseur, dissociation de l’identité sans psychose :

Le complexe d’Œdipe impossible.

Voilà ce tableau où la prise de position maternelle est cruciale, par son désaveu de la parole de l’enfant, son déni : « Tais-toi, c’est quand même ton père! Tu mens, tu délires, tu fantasme…», désaveu de la vérité historique de l’enfant qui va rendre le traumatisme encore plus pathogène.

Encore pire quand la position maternelle est faite de sa connivence non protectrice ou de sa complicité avec l’abuseur, la mère parfois active et perverse, proxénète de ses enfants après les avoir initiés alors que (comme au procès d’Angers) pour les services de protection de l’enfance, eux-mêmes abusés par une méconnaissance de ces pathologies maternelles, pendant des années ils croyaient naïvement à une carence éducative!...

C’est souvent aussi un enfant qui a été mal accueilli à sa naissance, ou alors un enfant « bien accueilli et ensuite laissé tombé », pour reprendre la formule précise de Ferenczi (1929) quand il insiste sur l’importance de ce contexte pathologique, incestueux et brutal.

Dans ses articles ultérieurs Ferenczi, le premier, a mis l’accent sur le rôle pathologique du tiers maternel exerçant ce DESAVEU de la parole de l’enfant, et décrivant les conséquences de cette « cicatrice mère enfant super-archi-traumatique »(6). C’est dire s’il est le psychanalyste précurseur de la pensée systémique, la où aujourd’hui les travaux de BATESON et NAGY nous permettent de mieux comprendre ce qu’est un système maltraitant, grâce aux notions de double-lien et de loyautés invisibles.

Depuis 1989, (Année du Bicentenaire de la Révolution Française) le 20 Novembre, a été signée une Convention Internationale des DROITS de L’ENFANT, droit à la protection contre l’exploitation sexuelle, les mauvais traitements, et droit devant la justice. Ainsi dans des affaires où l’enfant a été incesté c’est l’intérêt supérieur de l’enfant qui sera défendu par un avocat au cours du procès éventuel de ses parents abuseurs, maltraitants, proxénètes, mystificateurs, pédophiles, pervers. Quand ils sont psychotiques il y a non-lieu à poursuivre.

(Le contre exemple du procès à rebondissements d’OUTREAU nous a dévoilé une instrumentalisation d’un juge par une personnalité perverse, la mère des enfants. Elle même mythomane, incestueuse, auto accusatrice et accusatrice de tout son entourage.

Les mensonges en série ont eu des effets désastreux, car les procédures d’audition filmée des enfants et de confrontation n’avaient pas été respectées. Hors ce contexte exceptionnel, les récits et les comportements gestuels des enfants très jeunes sont précieux à enregistrer comme c’est maintenant dans la loi, en France.)

Donc droit de l’enfance et intérêt supérieur de l’enfant défendu par un avocat, vont permettre de poser l’encadrement préalable à la thérapie spécifique que réclament ces situations pathologiques, le plus tôt possible.

Précisément cet encadrement doit être socio-psycho-médico-juridique.

- Social d’abord car toute l’enquête préalable et la prise de conscience du malaise grave de telle famille sera dans la grande majorité des cas, relevé par un travailleur social devant des signes d’alerte, flagrants ou discrets, venant de l’école par exemple, imposants un approfondissement. Une enquête préalable puis judiciaire ordonnée par un juge des enfants ou un Procureur de la République permettront alors d’affiner les présomptions.

- Psychologique car depuis les récentes lois en France l’audition filmée de l’enfant par les services de police peut faire l’objet d’un accompagnement par une personne en qui il a confiance et la psychologue qui l’a déjà entendu sera la bien venue dans ces moments difficiles pour lui, face aux services de police ou d’un juge. (loi du17 juin 1998) Il est urgent que la déduction clinique du trauma, langage analogique ou mutisme, soit accessible aux services juridiques de l’enquête.

- Médical, parce que le médecin est tenu par son code de déontologie à un certain nombre de devoirs dont celui d’être le DEFENSEUR de L’ENFANT, (article 43), qu’il soit généraliste, pédiatre, psychiatre, qu’il soit de surcroît psychanalyste ne le libère en rien de cet impératif professionnel et citoyen. A noter que depuis une récente modification du Code Pénal Français, (2 janv.2004) il est écrit qu’il ne peut plus y avoir de poursuite disciplinaire à l’encontre du médecin, qui a signalé correctement un enfant en danger. C’est à dire par le Conseil de l’Ordre des médecins, ceci pour les médecins français, ici présents qui hésiteraient encore).

-Juridique, enfin, parce que le Civil est différent du Pénal ; les droits de garde d’un enfant après un divorce vont dépendre d’une décision pénale quand il y a plainte relative à une conduite suspecte d’un parent

Nous avons besoin de savoir dès le début de cette affaire qui commence, pour comprendre ce qui se passe et rédiger notre signalement, que le système judiciaire a reconnu quatre éléments qui permettent de qualifier les conditions de ce type d’acte sexuel forcé de la part d’un adulte: la Violence, la Menace, la Surprise ou la Contrainte. Ces quatre éléments constituent ce contexte de maltraitance sexuelle. Si l’une d’entre ces quatre conditions peut être prouvée, (par des éléments de preuve et l’appréciation de la véracité des faits plutôt qua par cette  notion obsolète tout à fait ambiguë de crédibilité) le juge en conclura que s’il y a eu pénétration sexuelle il s’agit bien d’un viol, donc d’un crime.

Voilà, le psychothérapeute d’enfant se sent moins seul !

« Pour ne pas succomber aux erreurs les plus lourdes de conséquences, en négligeant l’analyse de l’enfance », comme l’écrivait Freud

Le psychanalyste devant une adolescente ou un enfant qui accuse un adulte se trouve moins embarrassé, s’il peut entendre le désarroi lié à «  l’effroi sexuel ! le Sexual-Schreck,» et qu’il s’autorise à en parler à qui de droit pour ne pas s’enfermer dans un secret confessionnel qui peut très bien confiner à une authentique complicité avec l’abuseur présumé…Qu’on se le dise…

Le chef de service de pédiatrie ou de pédo-psychiatrie peut décider du signalement aux autorités, sans se protéger derrière un fantasme mégalomaniaque de pureté-psy !

Je connais l’un d’entre eux en région parisienne, qui se targue, vaguement fier, de n’avoir jamais rédigé de signalement de sa vie! Un comble dans l’aveu de l’évitement

On peut donc sortir de la confusion si l’on veut bien reconnaître que l’enfant mineur a des droits qui imposent d’être respectés, ce qui justifie une modification du cadre du traitement. Ainsi est née la psychothérapie familiale de réseau, que nous pratiquons au Centre des Buttes Chaumont, à Paris, depuis plus de vingt ans.

Prise en charge de ce système maltraitant lui-même, à deux thérapeutes, en présence des acteurs de la protection de l’enfant en question. Il est impératif de s’articuler aux différentes logiques judiciaires: Le CIVIL : juge des enfants d’abord, juge aux affaires familiales, juge des tutelles et le PÉNAL, le juge d’instruction, ainsi que les magistrats du Parquet, c'est-à-dire les Procureurs.

La violence de l’inceste passé à l’acte entre un adulte et un enfant ne peut pas être abordée sans des instruments spécifiques.

Nous avons évoqué deux encadrements :

l’encadrement théorique : le trauma précoce,

l’encadrement institutionnel, les droits de l’enfant et l’intérêt supérieur de l’enfant, voyons maintenant:

Le CADRE lui-même de cette thérapie de réseau.

Il est Temporel : Une fois par mois accompagnés par les adultes protecteurs, en réseau extemporané, créé pour lui. S’il ne voulait pas revenir après une première séance, c’est possible. C’est son système familial qui est malade ce n’est pas lui. Il est très sensible à cette attitude de notre part ; nous  ne cherchons pas à le forcer à venir, c’est encore souvent un enfant sous le choc, méfiant devant des inconnus, il est une victime il a des droits il va pouvoir se détendre en présence de personnes de confiance. Ce qui n’est pas simple car les transferts de haine et d’excitation érotique sont toujours là : transfert incestueux oblige. C’est assez dire que le transfert sur le cadre ainsi constitué aura une importance cruciale.

Il est aussi Technique

            Une pièce spacieuse, pour 8 à 10 personnes, un espace de jeux en marge de l’espace central où les adultes protecteurs vont parler de la situation.

            Un caméra non allumée, ce que les enfants vérifient très vite car parfois ils ont été filmés dans des positions érotiques par des adultes pédophiles pour alimenter les réseaux Internet, ce paradis pour les pédophiles. Ce sont eux les enfants qui prennent plaisir à se filmer les uns les autres quand il s’agit d’une fratrie, et vers la fin du traitement. Pas de miroir sans tain ni de micro, comme dans les thérapies familiales classiques.

            Un paper-board, élément central des premières séances pour établir le génogramme. C’est là que va d’abord se dessiner le schéma des trois générations en jeu et que vont se découvrir très vite les incestes aux générations précédentes, mais aussi tous les éléments d’historicité connue ou cachée qui fondent le substrat émotionnel de base tant pour les enfants présents que pour le parent protecteur en séance. Dès ce moment là le lien mère enfant bascule du fait du passé traumatique de celle-ci, passé sous silence. Les difficultés de la mère sautent aux yeux de tous, et surtout de ses enfants, sa soumission aux règles perverses du père (abuseur présumé), sa connivence parfois, son aveuglement et sa non protection de ses enfants, son immaturité etc….

 Les enfants quand ils sont plusieurs prennent plaisir ou luttent entre eux avec hargne pour conquérir cet espace nouveau de leur liberté d’expression, ce paper-board, véritable lieu de jubilation quand les premiers blocages sont levés pour y dessiner y écrire y crabouiller leur violence à l’adresse de leur abuseur.

            Vers quatre ans ils dessinent spontanément des maisons phalliques suite à leur découverte de la sexualité masculine adulte, des pictogrammes vulvaires quand ils ont été attaqués sexuellement par une femme et très souvent des effigies de leur abuseur parental qu’ils vont détruire symboliquement avec une rage et une haine légitime tout à fait spécifique, en tapant sur le papier jusqu’à y faire des trous ! Des crabouillages violents avec des coups de feutre sur cette figure qu’ils peuvent enfin nommer, insulter sans danger  « mon papa est une crotte de nez » et représenter pour mieux s’en débarrasser; ceci jusqu’au procès. Certains enfants particulièrement torturés et humiliés depuis leur naissance représentent leurs géniteurs emprisonnés, à chaque séance, jusqu’au procès. Après seulement ils peuvent se rassurer et reprendre leur vie psychique suspendue pendant tout ce temps...Au début de la thérapie ce sont les insultes qui apparaissent avec toute leur colère d’enfant si inventive; « Espèce de taré de zizi sexuel..., Gros pépère Beurk » et des précisions surgissent, des menaces de mort subtiles qui avaient échappé, d’autres prénoms d’enfants présents dans ces moments de sexualité perverse débridée.

Notons aussi un fantasme, authentique celui-ci, chez cette même fillette de cinq ans abusée par la bouche, du fait de la perversion de son grand-père paternel. Elle dessine un bébé de cet acte là, donc un enfant incestueux imaginaire, le «  Bébé Beurk ». Celui-là c’est une construction fantasmatique concrète, accréditée par la réalité physique du choc sexuel et de l’emprise, validant une théorie sexuelle infantile de cette fillette, la grossesse par la bouche.

Enfin c’est un cadre humain; la diversité des personnes présentes constitue la dimension stratégique de ces thérapies familiales car aucune thérapie individuelle n’est possible à ce moment là.

            Ces enfants sont très jeunes et en grand désarroi. Ils sont adressés par l’Aide Sociale à l’Enfance qui prend en charge le financement de ces séquences de traitement.

C’est le dénouement de cette maltraitance incestueuse qui va se dérouler au fil des séances grâce à ces acteurs présents en séance, à côté des deux psychothérapeutes, un homme une femme. Mais ces familles sont conditionnées, et comme sous hypnose depuis plusieurs générations et les résistances au changement sont sévères…D’où l’importance de ce filet de protection autour de l’enfant, chacun gardant sa spécificité dans cette thérapie de réseau mais dans un partage des informations et des transferts démultipliés indispensables.

-Les travailleurs sociaux qui connaissent le dossier, assistante sociale, travailleur social,

-Une représentante de L’ASE, un administrateur AD-HOC

- Les psy qui ont déjà recueilli les témoignages de ces enfants placés en institution par le juge, ou encore à la garde d’un parent

- Les parents d’accueil, quand ces enfants sont placés, surtout la mère d’accueil, véritable première figure maternelle que ces enfants expérimentent. Le père d’accueil sera souvent la première référence masculine cohérente qu’ils rencontrent.

- Un parent protecteur, un membre éloigné de la famille, qui peut se révéler très utile dans cette crise qui va durer, comme la thérapie, plusieurs années.

- De façon exceptionnelle un acteur-clef de la défense de ces enfants sera invité à venir ; l’avocat de cet enfant. C’est important avant un procès d’Assises ou de Correctionnelle pour aider cette petite victime à saisir les enjeux judiciaires dans lesquels elle est partie civile. Notre position est que sa présence au procès de ses parents maltraitants sera structurante pour son avenir, du fait de cet accompagnement thérapeutique et de ce jugement par le tribunal de l’adulte abuseur. Ce n’est pas lui l’enfant ni le responsable ni le coupable de ce qui s’est passé.

En cours de traitement c’est à des attaques ou des mouvements de séduction active de la part de l’enfant que l’on va assister, à des attaques entre frères ou entre sœurs sur un mode de passage à l’acte physique souvent à la limite du danger, quoique joué sur la scène offerte par la séance, exhibition protégée des mouvements de destruction haineuse bien connue par eux.

Ces démonstrations ludiques de transgression sont déjà un apprentissage d’une nouvelle dimension de surmoi qui prend corps devant nous.

La présence des frères et sœurs eux aussi abusés dans des conditions comparables va constituer un atout majeur pour l’avenir de ces enfants. C’est en effet souvent ce qui leur reste comme famille ! Les parents incarcérés pour longtemps, les grands parents peu fiables ou franchement pathologiques. Ils découvrent leur fratrie, leur propre potentiel d’amitié, d’amour et se démontrent spontanément protecteurs pour les plus jeunes.

Le réseau que nous avons constitué, hors la présence de l’abuseur, évidemment,  permet à cet enfant victime une nouvelle image du corps et une mise en ordre du monde dès que l’enfant reprend un peu confiance dans les adultes. Ces dessins de quadrillage d’une sphère ou d’un rectangle sont très émouvants à constater car l’enfant reprend espoir et sort du chaos et le fait savoir de cette façon. C’est observable dans chaque cas.

Si on lui dit qu’on est là pour l’aider il répond parfois, à six ans,  «  Non pour me sauver ».  En effet quand la loi de l’interdit de l’inceste a été bafouée, elle est remplacée par la Loi du silence et les règles intrinsèques à ce groupe, particulièrement perverses, vont avoir force de loi, ce sont des transactions incestueuses.

La maturation du Moi, après ce travail et le procès de leur abuseur, vont leur permettre de casser le destin des répétitions qui se profilait à leur horizon de vie.

Les conditions d’une thérapie ou d’une psychanalyse seront alors possibles et alors seulement. Parce qu’ il y a eu d’abord déconfusionnement pour l’enfant entre la toute puissance sadique dont il la été l’objet-victime et le rôle du responsable adulte qui a été reconnu et sanctionné par la société du fait de ses pratiques sexuelles d’emprise.

Les zones fractionnées du psychisme par ces identifications éclatées (fragmentation post-traumatique, atomisation, «  personnalité faite seulement de ça et de surmoi, incapable de s’affirmer en cas de déplaisir »… vont mettre du temps pour cicatriser mais c’est déjà le temps de l’adolescence, protégée en partie des reproductions pathologiques identiques ou des dérives toxico ou des effondrements psychotiques qui sinon seraient à craindre. Chez le mineur devenu agresseur sexuel lui-même, il suffit que lui soit exprimé en séance que ce n’est pas lui qui agi comme ça en attaquant les femmes de ménages sous leurs jupes ou en essayant d’étrangler son demi frère..

  Ce n’est pas toi c’est ton grand père, à l’intérieur de toi; qui agit comme ça… »

Il comprend instantanément. Il est saisi de l’évidence de son clivage, il peut s’arrêter

Il avait bien sûr été abusé dans des conditions très humiliantes part son grand-père paternel, alcoolique et pervers, après que sa mère l’ai radicalement abandonné, et que son père, lui même abusé, ne sache réagir.

Pour que l’homéostasie de ce groupe familial puisse se recomposer il faut en passer par une intervention de la loi sociale car les transgressions agies sont déterminantes quant à l’avenir de ces enfants là. Freud dans Totem et Tabou écrivait déjà, pourquoi l’avoir oublié et ne pas l’enseigner en fac ?

« L’attouchement est le commencement de toute tentative de s’emparer d’un individu ou d’une chose, de l’assujettir, d’en tirer des services exclusifs et personnels » 

Quelques mots en passant, avant de conclure

            Le diagnostic différentiel face au Délire à thème d’inceste, quand un père a mené une double vie pendant 20 ans mystifiant ses enfants légitimes avec la connivence de leur mère, camouflant l’existence d’un autre enfant adultérin. Le jour où la fille légitime apprend cette mascarade entretenue par les deux parents  elle démarre un délire de persécution à thème de meurtre fomenté par leur père et d’inceste soi disant réalisé…Le contexte délirant et la mise à jour de la vérité historique cachée a rétabli un contact avec le réel.

La notion illusoire de carences éducatives si fréquemment utilisées par les services sociaux comme une étiquette insuffisante et fallacieuse, les diagnostics d’addiction non plus ne sont pas suffisants. C’est au contraire un appel à une meilleure vigilance pour qu’un authentique diagnostic soit posé : maltraitance psychologique, syndrome de Silvermann, inceste,    L’illusion tenace des services sociaux étant que ces détresses familiales sont rééducables.

Le Münchausen par procuration où la fusion maternelle à son enfant pour être de connotation incestueuse n’en est pas moins délirante et tueuse et bien difficile à appréhender sans un échappement rapide, sauf hospitalisation psychiatrique…

En Conclusion de cette question posée à la psychanalyse par les violences intra-familiales je voudrais insister sur trois points.

- La névrose est le négatif de la perversion, mais au sens PHOTOGRAPHIQUE du mot, précise Freud.

Quand ce positif pervers se manifeste d’un adulte sur un enfant pré-pubère cet effroi sexuel qu’il subit a des conséquences dramatiques, ce n’est ni un rêve, ni un délire, ni un mensonge ni une idée ni un cauchemar ou un fantasme, c’est la névrose post-traumatique: hystérie, perversion polymorphe associée, compulsions multiples, décompensations dépressives, et persécution, toxicomanies et délinquance vont s’installer…. Cette évidence clinique, n’est pas encore acceptée dans tous les milieux psychanalytiques, essentiellement parce que les psychanalystes qui ne soignent que des adultes se privent d’une perception directe de la pathologie familiale quand un enfant appelle au secours. L’inceste réalisé sur un enfant n’est pas une exception, ce n’est pas « un mouton à cinq pattes», comme ça s’écrit encore, c’est d’une fréquence certaine y compris dans les milieux sociaux les plus favorisés. C’est plutôt un acte qui recèle une fonction sacrificielle, un passage initiatique à l’acte prostitutionnel.

- Le transfert sur le cadre de cette thérapie de réseau  est l’atout majeur pour l’évolution favorable de ces cas cliniques si difficiles, pour sortir ces enfants de l’abus de pouvoir insensé qu’ils ont subi. Transfert ambivalent et brutal, soit provocations physiques de lascivité envers l’homme thérapeute, ou envers la femme thérapeute suivant l’origine paternelle ou maternelle des atteintes sexuelles subies. Insultes et acting de rejet massif dès qu’est approché la sexualité de la mère, la liberté les désirs érotiques les plaisirs du corps l’orgasme la jouissance…sujets brûlants qui attendront la thérapie individuelle ou l’analyse…

Enfin la Fonction symbolique de l’action judiciaire, est flagrante, reconnue par les magistrats les plus au fait de ces jugements, notre ami Marie Pierre Porchy par exemple qui écrit dans son ouvrage «Les silences de la loi »: « Une victime qui a évolué par une prise de conscience de ce qu’elle a subi sera certainement moins exposée qu’une autre à reproduire l’agression sur autrui, S’il n’y a pas de fatalité dans la répétition des comportements agressifs, il n’y a pas non plus de magie dans l’interruption du cycle, encore fait-il s’en donner les moyens et réfléchir sereinement à ce sujet, sans attendre

Autre fonction symbolique que seule la justice peut programmer et qui sera très utile à l’enfant : Le retrait temporaire de l’autorité parentale, partielle ou totale, ce qui autrefois s’appelait La DECHEANCE.

De plus la présence des acteurs de la protection de l’enfance ou du médecin auteur du signalement,ou du thérapeute de l’enfant, va aussi contribuer, quand il témoigne en cour d’Assises, à la sérénité du tribunal au moment du procès des parents. Ces médecins sont parfois insultés comme « fliquiatres » par des complices de l’abuseur, c’est la rançon de cette attitude citoyenne.

______________________________________________________________ 

(1) Ouvrage récent publié au Seuil (Oct.2004) par Martine Nisse et Pierre Sabourin, sous-titré : Inceste, pédophilie, maltraitance.
(2) Georges Devereux, 1964, « La délinquance sexuelle des jeunes filles dans une société puritaine », Essais d’Ethnopsychiatrie Générale » Paris
(3) La Violence Impensable , 1994 et 2004, Éditions Nathan, F.Gruyer, Martine Nisse, Pierre Sabourin.
(4) Sándor Ferenczi, Tome IV Œuvres Complètes, Paris, 1982, Payot, Confusion des langues entre les adultes et l’enfant, p. 130.Trad.groupe du Coq héron
(5) Correspondance Freud-Ferenczi Tome III  Editions Calmann-Lévy, Paris 2000, Trad. Groupe du Coq Héron
(6) Journal Clinique S. Ferenczi, Paris Payot, 1985, p.137, 13 avril 1932, Trad. Groupe du Coq Héron

 
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